Une France sans eau : est-ce possible ?

Vincent Lucchese

Journaliste scientifique spécialisé en écologie

Auteur de Une France sans eau, La face cachée de la disparition de l’eau

06 septembre 2023, News RSE

Qu’est ce qui a déclenché votre enquête et quels en sont les enjeux principaux ?

Le 28 avril 2022, le cycle de l’eau douce dépassait officiellement la limite planétaire soutenable. Plus précisément, une étude parue ce jour-là dans la revue Nature estimait que « l’eau verte », la part des précipitations qui passe dans les sols et les végétaux, était sortie de la zone de sécurité, au risque de déstabiliser l’équilibre planétaire de la ressource. Dans la foulée, en juin 2022, l’ONU s’alarmait : « La moitié de la population mondiale devrait faire face à une grave pénurie d’eau au cours des huit prochaines années ». En France, les déficits de pluies, décrets de « crise sécheresse », les images de champs désolés et forêts en flamme s’enchaînaient années après année.

Ce sont ces enchaînements de nouvelles qui m’ont poussé à vouloir enquêter sur le sujet pour répondre à ces questions : va-t-on manquer d’eau ? Qui la consomme le plus et comment est-elle répartie ? Et d’abord pourquoi est-elle aussi indispensable à tous les échelons de nos sociétés et du vivant ?

J’ai organisé mon enquête en commençant par aller sur le terrain : chaque grande partie du bouquin commence par un reportage qui permet de prendre conscience des enjeux. Je complète ensuite la réflexion par la lecture de rapports et études plus ou moins austères, que je me suis employé à vulgariser joyeusement et rendre accessible aux lecteurs, aidé d’interviews menés avec de nombreux scientifiques.

Il me tenait aussi à coeur de partager mon émerveillement sur des éléments de science plus fondamentale, comprendre d’où vient l’eau, son agitation à l’échelle infiniment petite, la manière dont les plantes l’utilisent, car le but n’est pas de déprimer le lecteur avec toutes ces mauvaises nouvelles mais de montrer aussi comment comprendre le fonctionnement de ces mécanismes est source d’enthousiasme et permet de comprendre, donc d’avoir moins peur.

Une France sans eau, est ce possible ? Vous évoquez notamment que 512 milliards de m3 d’eau tombent, en moyenne chaque année, sur le pays. Qu’en est-il ?

Une chose est inévitable : la situation va continuer à empirer, au fur et à mesure que le climat global va continuer à se réchauffer, déréglant fortement le cycle de l’eau sur notre territoire. Sur une bonne moitié du pays, on sait qu’il va pleuvoir de moins en moins. Sur l’autre moitié, c’est plus incertain mais il va également faire beaucoup plus chaud. Donc même s’il pleut autant, il y aura plus d’évaporation, plus de besoins en eau pour nos activités et plus d’évapotranspiration des plantes : autrement dit, plus de sécheresses et pénuries d’eau potentielles.

Vous vous souvenez des fortes canicules et sécheresses que l’on a connu en 2022 ? Et bien les modèles climatiques nous disent que 2022 pourrait devenir une année normale d’ici 2050 en termes de températures estivales. « Normal », cela veut dire que ça peut être statistiquement pire une année sur deux en moyenne… Concernant l’état de nos sols, une situation considérée comme « extrêmement sèche » au XXe siècle pourrait devenir la norme d’ici quelques décennies, selon Météo France.

Le risque que l’on manque d’eau est donc bien concret. Cela pourrait se traduire par une « méditerrannéisation » d’une bonne partie du pays, c’est-à-dire une transformation en climat chaud et sec tel qu’on le connaît sur la côte d’azur aujourd’hui. La question à laquelle personne ne peut répondre avec certitude est : les écosystèmes et notre société pourront-ils s’adapter à des changements aussi drastiques et rapides ?

Comment éviter une catastrophe, quelles sont les solutions que vous avez découvertes dans votre enquête et sur le terrain ?

Il existe heureusement de nombreuses pistes pour améliorer les choses. La première et la plus importante, évidemment : tout faire pour limiter l’ampleur du dérèglement climatique. Donc diminuer drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre (liés à nos transports, consommations de viande, d’énergie, de bien manufacturés, etc.).

On peut aussi améliorer les choses localement et notre plus gros atout pour cela est l’agriculture : le système actuel contribue énormément au problème en détruisant la vie des sols, les haies et les arbres qui sont des atouts pour retenir l’eau. Je suis allé visiter des fermes expérimentales en agroécologie : une transition vers ce modèle serait extrêmement vertueux pour permettre à nos rivières et nos nappes de conserver de l’eau en période critique. J’ai aussi visité des fermes de céréaliers qui produisent du maïs sans irriguer, et avec de meilleurs revenus à la clé que leurs voisins irrigants. Une autre agriculture est donc possible mais implique un changement complet de modèle économique, et donc de vaincre aussi les verrous et lobbys institués.

Votre ouvrage est grand public. Quels messages souhaitez vous faire passer ?

Le message central, c’est qu’il n’y a pas d’usage indolore de l’eau. Toute eau consommée est une eau qui échappe à son usage primaire dans le milieu. Il faut donc apprendre à être plus sobre et s’ancrer dans la tête qu’il y aura forcément des choix et des efforts à faire. Cela pose des questions politiques, collectives : qu’est-ce qui compte le plus pour nous ? Que nos rivières continuent de couler ou que l’on ait toujours plus d’électricité pour alimenter de puissantes voitures SUV électriques et de gigantesques écrans plats ? Je caricature un peu mais ces choix seront inévitables, car le risque est que l’on sacrifie les milieux au nom de notre confort, que la sécheresse signifie d’abord la mort de tous les poissons dans certaines rivières, avant que nos usages domestiques soient à leur tour contraints et soumis à des quotas et pénuries.

L’autre message, plus optimiste : il n’y a encore rien d’inéluctable. L’ampleur des sécheresses futures peut énormément varier selon la quantité de CO2 que l’on relâche dans les années à venir. C’est à nous de choisir si l’on préfère changer radicalement de modèle agricole et d’alimentation par exemple, ou si l’on préfère subir un changement radical de paysages et un climat méditerrannéen en Bretagne, au risque de cataclysmes environnementaux et économiques à l’ampleur difficile à estimer. Quels que soient nos choix et l’orientation que l’on prendra, il faut en tous cas prendre acte d’une chose : le monde va changer. À nous de le subir ou de l’anticiper au mieux.

Retrouvez l’ouvrage de Vincent Lucchese, Une France sans eau, paru le 13 juin 2023 aux Éditions Alisio Cliquez ici

Retour aux Actus