Statut ne vaut pas vertu

RSE, raison d’être, sociétés à mission : de la crédibilité des entreprises engagées

L’ampleur de la RSE combinée à une économie à impact qui cherche à apporter des solutions aux défis sociaux et environnementaux confirme le rôle contributif de l’entreprise à la société et aux enjeux du développement durable et plus généralement à l’intérêt général. La RSE est le pouls de l’entreprise durable de demain, comprenez celle qui a un avenir sur le long terme. Ce phénomène qui n’est pas nouveau permet à l’entreprise de créer de la valeur et d’avoir un impact sociétal positif. Depuis plus de vingt ans, de nombreux labels ont vu le jour, et plus récemment la loi Pacte de 2019 qui a introduit le statut de Société à Mission (SAM). Ce nouveau statut permet d’intégrer une mission au cœur de son modèle d’affaire, mais il ne suffit pas de se déclarer « société à mission » pour être du jour au lendemain une entreprise responsable, à impact, engagée sur sa raison d’être ou sa mission sociétale. 

Contrôlé par un organisme tiers indépendant exigeant des preuves et de la traçabilité, le statut de la SAM est ambitieux. Il s’avère être un modèle d’entreprise certes contraignant mais sérieux, avec encore des zones d’améliorations à repenser. 

Des entreprises de plus en plus soucieuses de leur responsabilité sociétale

Devenir société à mission est devenu un objectif de plus en plus courant parmi les entreprises, quelle que soit leur taille. Il semblerait que se doter d’engagements responsables vis-à-vis de la société et de la planète serait une condition sine qua non pour plaire au grand public. Les citoyens comme les salariés sont en quête de sens et s’interrogent de plus en plus sur leur existence, leur avenir et celui de leur planète. Il leur parait évident que les entreprises se mettent au diapason. Pourtant, selon l’étude Harris Interactive de février 2022 repris par Carenews   3 Français sur 4 éprouvent une certaine méfiance concernant l’engagement sociétal des entreprises

Tout le monde souhaite que les entreprises s’engagent, certes, mais sans ripolin ni greenwashing.  

Les sociétés à mission se développent massivement depuis la promulgation de la loi Pacte, le 22 mai 2019. Celle-ci consacre dans le code civil la prise en considération par les entreprises des enjeux sociaux et environnementaux inhérents à leur activité. 

Chaque année en France, 100 à 200 entreprises se dotent de labels, de certifications, se mettent aux normes pour entrer dans la famille grandissante des entreprises dites engagées ou responsables. Selon l’Observatoire des Sociétés à Mission, en 2021, il n’y avait pas moins de 505 sociétés à mission référencées. Côté Label LUCIE 26000, le premier label engagé et responsable de France, on en compte 300 labellisées LUCIE. Quant à la certification RSE de l’AFNOR, on compte 253 entreprises labellisées « Engagé RSE » et plus de 600 organismes engagés dans le parcours Engagé RSE.

Cependant, ces statistiques sont à nuancer : en 2019 l’INSEE comptait en France 4,1 millions d’entreprises. À cette échelle, et malgré leur croissance rapide et remarquée, les sociétés engagées ne représentent qu’une minorité. 

Ce qu’il faut savoir sur le statut de société à mission

Une société à mission est une entreprise ayant inscrit dans ses statuts sa raison d’être. Cette raison d’être est constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. Pour être reconnu comme société à mission, il faut accepter qu’un organisme tiers indépendant (un OTI) vérifie l’atteinte des objectifs fixés dans les statuts et l’adéquation des moyens engagés. Un OTI a pour mission de vérifier que tout concorde.

La première très grande société à s’être dotée d’une mission dans ses statuts est Danone. Néanmoins, qui dit société à mission ne dit pas engagement de 100% des investisseurs et des parties prenantes. Dans le cas de Danone, c’est l’inverse qui s’est produit : les investisseurs n’étaient pas en accord avec les décisions de l’ancien PDG et ne partageaient pas sa vision. Il en a été remercié.  

Un statut qui attire majoritairement des TPE/PME non cotées

Depuis, d’autres entreprises ont suivi l’exemple de Danone. On pourra citer les groupes La Poste ou Rocher. Pourtant Martin Richer, fondateur de Management & RSE , déclare que la société à mission reste majoritairement un segment des TPE et PME.

« Indiscutablement on observe une dynamique dans les TPE et les PME de service non cotées. Le statut de sociétés à mission ne convainc pas les entreprises capitalistes qui ont besoin d’un capital important pour rémunérer leurs actionnaires » 

De plus, il constate que les entreprises rencontrent des difficultés à passer au plan d’action attaché à chaque mission inscrite dans leurs statuts. Leur talon d’Achille réside dans l’efficacité et la mise en place des dispositifs de certification et de respect des critères. Cela s’explique notamment par le fait que les OTI viennent pour la majorité du monde de l’audit. Elles ont une approche de mise en conformité et d’analyse de données chiffrées alors qu’il serait plus pertinent de vérifier la nature et la qualité de la réduction des impacts négatifs en lien avec les activités de l’entreprise. 

Le passage obligé sous la loupe des Organisme Tiers Indépendants

À cela s’ajoute le fait qu’une analyse de conformité et qu’un rapport extra-financier élaborés par une OTI nécessitent du temps et de l’investissement. Beaucoup de structures devenant sociétés à mission n’ont pas toujours les moyens de régler les frais inhérents à cette transformation. Le coût est souvent prohibitif comme le signale Éric Roux de Bézieux de Syntagme, la première agence de communication déclarée société à mission en région « Entre 9000 et 10000€ d’audit pour une PME de 15 salariés !? C’est plus que ce que charge un commissaire aux comptes, certaines OTI sont carrément hors sol !» 

Le coût de l’audit par l’OTI peut s’avérer être un vrai frein au passage à ce nouveau statut de société à mission. En effet, beaucoup ont choisi de ne plus avoir de commissaire aux comptes depuis la Loi Pacte pour économiser 4000€. Dans certains réseaux d’entrepreneurs en province, certains adhérents font le calcul coût-bénéfices. Les risques et les craintes se développent. Mais c’est la loi : il faut être audité. Sur le long terme, cela permet d’éviter un écueil que souligne Martin Richer : « Il ne suffit pas de se déclarer société à mission pour en être une. Or le problème sous-jacent c’est que les entreprises se déclarent sociétés à mission en ayant simplement modifié leurs statuts. Pourtant tout le monde sait qu’une société à mission ne sera véritablement confortée dans cette qualité qu’après deux ans d’activité et après avoir été auditée par une OTI. » 

 Statut ne vaut pas vertu  

En réalité, les audits et les déclarations auprès du Conseil National des Greffes du Tribunaux de Commerce sont une garantie officielle et incontestable, outre la déclaration auprès de la Communauté des Entreprises à mission , la certification ou encore l’accréditation de certains labels. 

« Parfois on a l’impression que le bac est donné dès l’entrée en terminale plutôt qu’après l’examen final. Tout est fait à l’envers ! On peut se prévaloir de la qualité de Société à Mission dès qu’on a déposé ses statuts au greffe. Ça gonfle le nombre de SAM et la question de la crédibilité est posée. » 

Le Rapport de Bris Rocher remis au Ministre de l’Économie Bruno Le Maire insiste sur la nécessité de trouver le point d’équilibre entre l’attractivité de devenir SAM et la crédibilité qu’elle suscite. Les actionnaires doivent être replacés au centre du jeu. C’est pourquoi les multinationales deviennent rarement SAM. Elles sont très nombreuses à avoir besoin de convaincre un actionnariat étranger qui ne comprend pas les tenants et les aboutissants de la loi Pacte et pour qui les bénéfices sont l’enjeu majeur, bien plus que l’impact environnemental ou sociétal qu’elles génèrent. 

La transparence : élément clé

Certains experts insistent sur l’absolue nécessité d’améliorer la transparence des sociétés à mission tant sur le volet communication que sur celui des engagements. 

Afin d’accompagner cette transparence, les sociétés à mission se dotent d’un comité de mission qui a aussi un rôle de contrôle. Il se réunit généralement tous les deux mois et permet de revenir sur les indicateurs, de mettre en place des actions, aider à rester sur la ligne de la norme ISO 14000, élaborer une charte éthique. Le Comité de mission se retrouve au cœur de la gestion de l’entreprise quand il s’agit de petites entreprises. Il peut piloter les investissements, prendre en charge les études budgétaires et dote l’entreprise d’un corpus qui lui permet de remporter des appels d’offre. Petit bonus du Comité de Mission : il est l’occasion parfaite de faire du team building ! Généralement composé de salariés et de membres extérieurs apportant une expertise, il n’est évidemment pas sans faille. 

Certains experts de la RSE proposent notamment que les SAM rendent publics leur rapport d’OTI et la liste des membres du Comité de Mission pour éviter toutes dérives. Cette pratique dissuaderait sans doute certaines sociétés de franchir le pas et se déclarer Société à Mission uniquement pour son avantage marketing. 

Une histoire de crédibilité

Comme l’a clairement exprimé Bris Rocher dans son rapport, « Inscrire la mission dans les statuts de la société permet de lui donner un caractère opposable qui la distingue des politiques RSE conventionnelles. Cette notion d’opposabilité est à la fois juridique et médiatique. Si l’entreprise inscrit sa mission et les objectifs correspondants dans ses statuts, elle est tenue juridiquement de les

remplir, mais le risque d’image l’expose davantage». Ce risque pose la question de la réputation et de la crédibilité. 

Peut-on considérer dans les faits qu’une entreprise engagée est une société à mission même sans l’avoir inscrit dans ses statuts ? Il semblerait qu’aujourd’hui, cette nécessité soit devenue incontournable. Une entreprise engagée a tout intérêt à le faire savoir. Ainsi, les chefs d’entreprise réfléchissent à la raison d’être de leur société avant de la rendre publique. Depuis la loi Pacte, un vent nouveau se lève, celui de donner du sens à ses actions et à ses initiatives. Mais au-delà de cette envie, une entreprise ne doit-elle pas pouvoir s’engager et œuvrer pour la société sans être « à mission » ? 

Certaines associations, mutuelles et collectivités relèvent à la perfection le défi et ouvrent parfois la voie dans leurs secteurs d’activité. Fédérer à l’échelle des territoires les acteurs engagés autour d’une raison d’être et d’objectifs communs, c’est par exemple ce qui a favorisé l’émergence des « Territoires à Mission® » orchestrés par Primum Non Nocere. À Montpellier et à Tours, tous mutualisent les bonnes pratiques de RSE en se fédérant autour d’un projet commun axé sur les objectifs du Plan National Santé Environnement. 

Sur le long terme, et quel que soit le statut privilégié par l’entreprise, ce qui importe est de distinguer l’entreprise utile à la société, responsable et créatrice de valeur. L’entreprise soucieuse de son impact sur la société, adoptant des démarches vertueuses, embarquant ses parties prenantes, captant une nouvelle clientèle et de futurs salariés en quête de sens. La réputation est finalement mère de tous les projets vertueux …  

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