Pour une déclaration universelle des droits et des devoirs des citoyens de la planète
Quelles sont, selon vous, les priorités pour relever les défis du xxie siècle ?
Le « méta défi » est celui d’apprendre à relever les défis. Nous sommes tous formés sur la compétition et sur les savoirs d’hier et nous n’avons aucune capacité à coopérer pour relever des défis. Encore moins quand ils sont planétaires. Pour les relever collectivement, nous devons créer des collectifs et un écosystème qui va au-delà des égo-systèmes. Cette capacité à relever les défis, c’est le défi principal.
Un citoyen agit dans l’intérêt de la cité et contribue aux décisions collectives. Pour répondre aux défis globaux, nous devons repenser la démocratie car nous sommes tous des citoyens de la planète. La modernité consiste à changer les manières de passer de l’action individuelle à collective. Prendre en compte l’intérêt des nouvelles générations et de celles à naître est la seule manière de penser le temps long. 50 % de l’humanité a moins de 30 ans et seulement 2 % des décideurs ont moins de 30 ans. C’est un antagonisme qui devrait nous pousser à co-construire de manière intergénérationnelle.
Pensez-vous qu’il faut faire évoluer nos institutions internationales ?
Complètement. L’UNICEF, la Banque mondiale, l’OMS et l’OMC ne rentrent pas dans la charte des Nations Unies. Leurs systèmes de nomination sont tout sauf démocratiques. La déclaration universelle des droits de l’homme (et celle des droits de l’enfant) existe depuis 1924. Je suis favorable à une déclaration des droits et des devoirs des citoyens de la planète : une déclaration des « planètoyens ». D’ailleurs, la déclaration des droits des enfants a été pensée par des adultes pour des enfants. Bien que citoyens de demain, ils ne votent pas car on les juge trop peu informés ou éduqués, influençables et incapables de comprendre la complexité des enjeux. Ces arguments ont été avancés auparavant pour les femmes. Il est grand temps qu’au xxie siècle, il y ait des avancées pour les plus jeunes.
En tant que biologiste, je peux vous affirmer qu’il ne se passe rien de spécial dans le cerveau, ni à 21, ni à 16 ans qui puisse justifier d’avoir passé un cap. Je suis favorable à ce que l’on donne le droit de vote dès la naissance en accordant un droit temporaire au parent. Je suis convaincu qu’un enfant est capable de comprendre la complexité des enjeux, lorsqu’il reçoit une éducation appropriée.
En dehors de l’éducation, des droits et de l’évolution de notre modèle, quels sont pour vous les autres enjeux prioritaires ?
On a besoin de biens communs globaux (démocratie, éducation, science…) tels que les 17 ODD. Cependant, nous n’avons pas de plateforme qui réunit des outils d’intelligence mutualisée comme c’est le cas pour« Git Hub ». L’intelligence collective qui y est mobilisée n’a pas d’équivalent pour l’éducation. La technologie et l’intelligence artificielle sont au service de la publicité et des intérêts financiers et aucune ne sert directement les futures générations et les ODD. Pourtant, rien n’est impossible ! Mais il faut tout co-designer car même ceux qui s’intéressent aux ODD travaillent en silo.
Les technologies actuelles nécessitent des moyens financiers colossaux mais l’argent national est investi dans la R&D pour des missiles performants ou pour maintenir la santé des puissants. Les instituts de recherches nationaux et les universités ont toujours servi les intérêts des puissances locales et de leurs anciens élèves, sans former les citoyens de demain. Une Université des Nations Unies. Elle n’a que peu d’enseignants-chercheurs et d’élèves. Tant que nous n’avons pas de réseau d’universités transnationales au service des ODD, rien ne sera fait à la hauteur des enjeux. La carrière des chercheurs est rarement interdisciplinaire. Par ailleurs, l’intérêt de sujets qui ne sont pas financés directement par des multinationales ou des États-Nations sont ultra minoritaires.
Pourquoi avoir fondé le Learning Planet Institute ?
Nous sommes une association loi 1901 constituée d’universitaires et de chercheurs faisant office de « middle ground ». L’institution c’est l’« upper ground » et les activistes sur le terrain sont le « under ground ». Quand l’institution est trop rigide pour relever les défis ou si les acteurs sont trop isolés, le middle ground est l’intermédiaire permettant de s’organiser pour faire ensemble plutôt que seuls. Nous travaillons avec des centaines d’organisations à travers le monde, pour essayer de créer un cadre (murs, lois, budget) de libertés, évolutif
et fécond. Un rapport a été rendu au gouvernement français entre 2016 et 2018 sur l’idée de société apprenante. La direc-trice générale de l’UNESCO nous a enjoint à mettre un « s » à sociétés. Le Learning Planet Institute rassemble ceux faisant co-évoluer la science, la citoyenneté, l’engagement, la démocratie et l’éducation et repensant l’héritage des Lumières.
Nous aidons l’UNESCO sur des thématiques de R&D en la mettant en relation avec des acteurs économiques et en l’aidant à célébrer la journée nationale de l’éducation (le 24 janvier). Celle-ci permet de mutualiser des connaissances tel un GPS qui aide à savoir où on est, où on souhaite aller, ce qu’on sait déjà et ce qu’on ne connait pas encore, auprès de qui et comment l’apprendre.
En définitive, apprendre ce qui donne du sens à nos vies. C’est ça l’ambition : créer de la recherche, de l’enseignement, des outils numériques et fédérer les communautés qui veulent basculer du côté apprenant.
Comment maximiser de façon positive notre impact ?
Selon Aristote, il y a trois formes de connaissances : Épistémè, Techné et Phronesis. L’épistémè, la connaissance du monde a donné la science. Techné c’est comment on agit sur le monde, c’est la technologie. Phronesis, c’est l’éthique de l’action. Chacun d’entre nous doit s’interroger sur nos actions et la manière dont elles influencent les autres et nous-mêmes. C’est dramatique d’avoir conscience de sa propre consommation de carbone. La seule manière d’avoir une empreinte carbone négative, c’est le suicide. Mais il faut rester en vie et s’engager. C’est le seul moyen pour que les conséquences de nos actes aient un impact le plus positif possible sur les générations d’après. Sans la science et la technologie, on a moins conscience de ce dont le monde a besoin. C’est tout le concept de l’Ikigai : une intersectionnalité entre les besoins de la planète, les besoins personnels, les ressources individuelles et les ressources trouvables dans l’environnement. Et ceux-ci sont corollaires aux cinq piliers du Learning Planet Institute : la recherche, l’enseignement, l’accompagnement, les outils numériques, la vocation de communauté. Notre ambition globale est d’augmenter notre impact et sa durabilité en s’organisant pour apporter au monde ce qu’il désire. Sur ma carte il est écrit « CEO » pour Chief Exploration Officer car il faut continuer d’explorer au lieu d’exploiter. Bien que ce soit la grande tendance humaine.
C’est aussi la raison pour laquelle j’ai écrit l’ouvrage Et si nous ?*. Et j’invite tout le monde à écrire son propre « Et si nous ? ».
Le « nous » est une invitation à créer des collectifs et le point d’interrogation à se questionner sur l’existant et le changement. On l’a traduit en anglais par Game changing : il y a deux types de jeux : A et B. Le Game A est le plus commun. On a l’illusion de gagner à court terme, in fine on perd tous. Le Game B c’est celui où on apprend à jouer indéfiniment en coopérant pour que tout le monde soit gagnant-gagnant et en particulier les générations futures. Le Learning Planet Institute forme des gens à comprendre le système pour le transformer, des game changers.
Les grands défis sont l’apprentissage, l’intelligence collective et l’amélioration des institutions. Êtes-vous optimiste ?
Je me qualifie de « mélioriste ». Un mélioriste se dit qu’il peut contribuer à améliorer les choses et qu’indépendamment de la trajectoire globale, il a fait ce qu’il a pu. Si tous les mélioristes se tiennent la main, on peut en faire des choses. Historiquement, nous ne coopérons qu’en faveur de notre intérêt individuel alors je propose que nous passions du « je » au « nous », en incluant tous les êtres vivants. Pour s’en sortir, il faut stopper les logiques d’exploitation et les attitudes prédatrices. Des valeurs invariables existent chez l’humain : au-delà de la liberté, pour moi ce sont le care et le fair. Nous ne survivrions pas à la naissance sans quelqu’un pour s’occuper de nous. Et bien-sûr, il faut être équitable. Si les deux valeurs sont présentes, je peux être optimiste. Cette vision peut sembler utopiste mais on en est capable et c’est le meilleur des scénarii possibles.
* François Taddei, Et si nous ?, Éd. Calmann-Levy, 2022
Pour en savoir plus sur le Learning Planet Institute :
Né du CRI, fondé en 2006 par François Taddei et Ariel Lindner autour de l’interdisciplinarité, le Learning Planet Institute associe recherche, pédagogie et technologie pour accompagner tout un chacun à construire une société apprenante et un monde plus durable. Donnant les moyens d’affronter les problématiques sociétales et environnementales de notre temps, il pousse à la coopération en faisant appel à l’intelligence collective.