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Sutter Pierre-Éric

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Éco-anxiété : l’impact des enjeux environnementaux sur la santé mentale  

L’éco-anxiété, prise de conscience aiguë des problèmes environnementaux, engendre un fort mal-être. Ceux qui ont vécu une Fresque du Climat en ressentent les effets en réalisant que nos activités thermo-industrielles bouleversent l’écosystème planétaire. En attestent les mégafeux, cônes de chaleur ou sècheresses inédites. L’éco-anxiété n’est pas une maladie même si elle peut rendre malade quand elle se chronicise, affectant la santé mentale. Les personnes éco-anxieuses s’inquiètent en effet : comment bien manger, bien boire ou bien respirer – en bref bien vivre dans un monde qui se degrade ?  

La crise du Covid 19 a sensibilisé les citoyens à ces questions. Mais ceux qui n’ont pas la vision systémique des problèmes environnementaux pensent que la crise est dépassée, qu’elle ne constitue plus une menace. Ce n’est pas ce que disent les scientifiques, qui décrivent ces phénomènes de façon globale, depuis un demi-siècle. Ils montrent, pour les années à venir, l’inéluctabilité de catastrophes climatiques, si nous maintenons notre style de vie consumériste. C’est pourquoi les éco-anxieux, bien informés, savent que les écogestes seuls ne remédieront pas à la fonte de la banquise. Ils savent que les citoyens n’ont pas les ressources suffisantes, beaucoup moins que les entreprises ou les institutions. Il s’agit d’un effort collectif à fournir. 

Pourquoi les éco-anxieux sont-ils conscients des enjeux environnementaux et pas les autres ? Parce qu’au-delà des informations dont ils s’abreuvent, ils ont vécu une « métanoïa », un élargissement de leur champ de conscience provoqué par l’angoisse de finitude, la peur de la mort. Grâce aux travaux scientifiques, ils ont réalisé que la chaîne causale de l’effet boule de neige de la dégradation du climat emmène l’humanité dans le mur. Pour reprendre Jean Jouzel : « nous grillons à petit feu », mais cela n’est pas perceptible au quotidien pour le commun des mortels parce qu’il a fallu environ 200 ans pour que la planète se réchauffe de 1,1°C, alors qu’elle va mettre moins de 100 ans à atteindre les 4,7°C. 

Pourquoi les autres ne sont-ils pas éco-anxieux face à ces informations sur les catastrophes qui nous attendant ? L’être humain ne réagit qu’en état de stress. C’est son cerveau reptilien qui le fait réagir face à un danger imminent ou un enjeu important, pas son néocortex où sont traitées les informations. Il faut tout autant que le cerveau limbique lui ait fait éprouver une émotion de peur pour qu’il se mobilise à bon escient. 

C’est pourquoi clamer « polluer tue » est insuffisant. Tant que les gens n’éprouvent pas la peur de la mort, ils ne réagissent pas. Idem pour « fumer tue ». Tout le monde sait que fumer est dangereux pour la santé et même pour la vie, pourtant les fumeurs continuent de fumer. La plupart rationnalisent l’information via nombre de biais cognitifs qui leur font croire qu’ils vont passer entre les gouttes – en bref, qu’ils sont plus forts que la mort. Dès que la mort s’approche (le décès d’un cousin fumeur pour cause de cancer foudroyant), l’idée qu’elle puisse arriver se concrétise émotionnellement ; la métanoïa fait son œuvre… 

Les éco-anxieux – ou plutôt les éco-clairvoyants – ont conscience de la fragilité de la vie et des conditions pour qu’elle perdure : un écosystème préservé et non abimé ou pire, annihilé, qui permet de bien boire, bien manger et bien respirer. Comment les sortir de leur état de mal-être et éviter qu’ils ne basculent dans une psychopathologie (dépression…) ? En s’appuyant justement sur leur peur. En les faisant passer d’une peur qui immobilise à une peur qui mobilise vers l’action. Pour dépasser l’éco-anxiété, il faut d’abord trouver le sens de son action en s’appuyant sur ses idéaux et valeurs. Puis réfléchir à un éco-projet qui conjugue appétences et compétences afin d’être pleinement engagé en phase avec ses valeurs. Enfin, la satisfaction résultant de la concrétisation de l’engagement viendra accroître l’estime de soi et donc contrebalancer le mal-être initial et rétablir l’homéostasie psychique appelée « santé mentale positive ». Ainsi, bien accompagnés, les éco-anxieux peuvent devenir de puissants moteurs pour la transition écologique. 

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