Les experts : Payen Gérard

Payen Gérard

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Payen Gérard

Les ODD, un programme d’action ambitieux pour l’Eau et par l’Eau

La quasi-totalité des activités humaines utilise de l’eau, directement ou indirectement. Heureusement, il y en a beaucoup sur la Terre mais pas forcément aux bons endroits. Pendant des millénaires, les hommes étaient conscients de leur dépendance à l’eau et s’installaient auprès des points d’eau. Depuis un siècle, la population mondiale a explosé en s’installant là où elle le souhaitait indépendamment de la disponibilité locale de ressources en eau. Nous sommes aujourd’hui quatre fois plus nombreux qu’en 1920 et, avec l’élévation du niveau de vie et le développement économique, nous utilisons mondialement chaque jour davantage d’eau. Il en résulte, en de nombreux endroits, des tensions sociales, économiques ou sociétales et des menaces sur les écosystèmes. Ces difficultés sont aggravées dans les régions où les changements climatiques réduisent les ressources en eau pendant les périodes sèches ou de façon permanente.

Les ODD, un programme ambitieux pour l’Eau

Jusqu’en 2015, il n’y avait qu’un objectif mondial relatif à l’eau. Il était peu ambitieux, il ne visait qu’à éviter que les points d’eau utilisés par les populations puissent être contaminés par des animaux mais sans garantie de potabilité. D’ailleurs, il a été atteint avec plusieurs années d’avance. Lors de la mise au point de l’Agenda 2030 et des Objectifs mondiaux de Développement Durable (ODD), ce nouveau programme très ambitieux visant à affronter tous les grands enjeux de l’humanité, l’importance de l’eau est apparue progressivement et, en 2015, l’un des 17 grands ODD a été dédié à l’eau et à l’assainissement, ce qui a fait de l’Eau l’une des 17 grandes priorités de l’humanité. Mieux, sur les 169 objectifs précis de l’Agenda 2030, que l’on nomme cibles ODD, une vingtaine concerne directement la gestion de l’eau et bien d’autres y sont liés indirectement. Le monde est ainsi passé d’un objectif limité et partiel à plus de 20 objectifs mondiaux ambitieux embrassant tous les grands enjeux actuels de l’eau. Les ODD visent ainsi à assurer une gestion durable des ressources en eau permettant de satisfaire les besoins de chaque utilisateur, à maîtriser les nombreuses pollutions de l’eau, à assurer à tous un accès satisfaisant à l’eau potable et à l’assainissement, à adapter les sociétés aux baisses de ressources résultant localement des changements climatiques, à protéger la biodiversité aquatique ou encore à anticiper les catastrophes liées à l’eau pour réduire leurs impacts.

Les ODD, un programme dont l’Eau est un facteur de réussite

L’Agenda 2030 est un programme systémique, c’est-à-dire que ses grands objectifs sont tous interdépendants et qu’il n’est pas pertinent de concentrer les efforts sur les progrès vers quelques cibles particulières en ignorant les autres. La grande ambition des ODD est de progresser simultanément sur tous les objectifs. L’eau illustre bien cette interdépendance. En effet, si l’agriculture, l’industrie et les villes doivent améliorer leur gestion de l’eau pour atteindre la quatrième cible de l’ODD 6 dédié à l’eau, en sens inverse, la gestion durable des ressources en eau est indispensable pour l’atteinte de leurs objectifs qu’il s’agisse de nourrir durablement la planète (ODD 2), de croissance économique (ODD 8), d’industrialisation durable (ODD 9) ou de villes durables (ODD 11). En outre, l’accès à l’eau potable et à l’assainissement participe à la lutte contre la pauvreté (ODD 1.4), à l’urbanisation décente (ODD 11.1), à l’amélioration de la santé (ODD 3.3 et 3.9) ou encore à la réduction des inégalités de genre par la suppression des corvées d’eau. L’équipement sanitaire des établissements scolaires y participe aussi en permettant aux filles d’aller à l’école. En pratique, tous les ODD sont impactés par les progrès de la gestion de l’eau comme le montrent les documents du Partenariat Français pour l’Eau et en particulier son application Water4allSDGs d’évaluation des impacts sur les cibles ODD d’un projet ou d’une politique du domaine de l’eau.

Des enjeux mondiaux de mieux en mieux connus

Comme, avant 2015, l’ONU n’avait qu’un objectif limité sur l’accès à l’eau soi-disant potable, les informations statistiques mondiales sur les autres aspects de l’eau étaient lacunaires. De nouveaux indicateurs sont progressivement mis en place depuis 2015. La situation mondiale commence à être mieux connue, ce qui permet de mieux appréhender l’ampleur des défis et de calibrer les politiques publiques nécessaires.

Par exemple, on sait aujourd’hui que le nombre de personnes sans accès satisfaisant à l’eau potable est plus de trois fois supérieur à ce que l’on croyait avant 2015. On estime que 2 milliards d’êtres humains, soit un quart de la population mondiale, utilisent au moins de temps en temps de l’eau contaminée. Les progrès sont très lents. L’ONU a sonné l’alarme en mars 2021 en indiquant aux gouvernements qu’il fallait quadrupler le rythme des progrès actuels pour atteindre l’objectif d’accès universel en 2030. Pour y arriver, il faudrait inverser certaines tendances graves. L’accès à l’eau potable recule en effet en Afrique subsaharienne et dans la moitié urbaine de la population mondiale : le nombre d’Africains sans eau véritablement potable et celui de citadins dans la même situation ont respectivement augmenté de 51 % et 36 % depuis 2000.

La France est concernée

En France, la situation est assez différente de la moyenne mondiale pour au moins trois raisons : l’eau y est plutôt abondante car le climat de la métropole est tempéré ; la croissance économique s’y poursuit sans accroissement des prélèvements d’eau et l’eau y est plutôt bien gérée depuis longtemps. Néanmoins, les cibles ODD ont mis en lumière quelques insuffisances. Celles-ci ont été identifiées en 2017 par l’ASTEE, l’association des professionnels français de l’eau. Les principales ont été reprises dans la Feuille de route de la France pour l’Agenda 2030 de 2019, c’est-à-dire la stratégie officielle de la France vis-à-vis des ODD. Les trois principaux défis concernent l’accès à l’eau potable qui n’est pas assuré pour la totalité de la population, l’état des cours d’eau et nappes souterraines et les pollutions diffuses d’origine agricole.

Si la distribution de l’eau potable est généralement d’excellente qualité en France, trois catégories de Français n’en bénéficient pas ou n’y ont pas accès dans des conditions satisfaisantes. Ce sont d’abord des Français d’outremer où plusieurs départements n’arrivent pas encore à alimenter 100 % de la population avec de l’eau véritablement potable en continu, 24h sur 24. En outre, l’alimentation en eau potable y est davantage impactée par les changements climatiques qu’en métropole. En 2020, pendant des épisodes de sécheresse exceptionnelle, les robinets ont ainsi été à sec plusieurs jours par semaine dans plusieurs endroits de la Martinique ou de la Réunion. Ensuite, les personnes sans domicile fixe ont souvent des accès difficiles à l’eau qu’il s’agisse de SDF, de gens du voyage ou de migrants. Les statistiques nationales les ignorent. Aussi les statisticiens du Ministère de l’Environnement ont-ils proposé en 2018 de bâtir un indicateur adapté. Pour le moment, à l’été 2021, cette proposition n’a pas encore été suivie d’effet. Enfin, certains Français de métropole reçoivent au moins de temps en temps de l’eau dont les caractéristiques ne respectent pas les normes de potabilité. En particulier, 1,3 million d’entre eux reçoivent de temps en temps de l’eau avec des traces de contamination biologique. Plus de 5 millions utilisent de l’eau qui ne respecte pas en permanence les limites de qualité réglementaires pour les pesticides.

L’état des ressources en eau est suivi attentivement depuis longtemps car l’Union Européenne s’est fixée pour objectif d’assurer leur bon état chimique et écologique avant même 2030. Les indicateurs correspondants sont détaillés dans le tableau de bord ODD publié par l’INSEE. Le chemin parait encore long puisque la moitié des eaux de surface, lacs et cours d’eau, n’est pas en ’bon état écologique’ et que les progrès sont beaucoup trop lents pour espérer atteindre l’objectif de 2030. Quant aux nappes souterraines, 30 % d’entre elles sont polluées (en « mauvais état chimique »).

Les pollutions diffuses d’origine agricole sont des rejets dans les cours d’eau et des infiltrations dans les nappes souterraines de nitrates ou de produits phytosanitaires. Ceux-ci résultent d’excès d’engrais, herbicides ou pesticides ou de rejets animaux. Les rejets des bovins, ovins et porcins sont significatifs puisqu’ils sont plus nombreux que la population. Tous ne sont pas dépollués avant de rejoindre le milieu naturel. En ce qui concerne les produits phytosanitaires, leur tonnage annuel ne décroit toujours pas malgré les politiques visant à leur maîtrise.

Un quatrième enjeu est en train de prendre de l’importance. Il s’agit des changements du climat. En métropole, tous les modèles hydro-climatiques conduisent à prévoir des baisses des ressources hydriques au moins l’été dans la quasi-totalité des régions. Les précipitations annuelles devraient évoluer de manière contrastée avec des baisses ou des hausses selon les régions. Mais, la hausse moyenne des températures causera une baisse générale de la disponibilité des ressources en eau, en conduisant à davantage d’évaporation et par suite à moins de ruissellements alimentant les cours d’eau. Pour faire face à cette évolution, la France s’est donnée pour objectif de réduire les prélèvements d’eau douce de 25 % en 15 ans. Cet objectif parait raisonnable au vu des prévisions scientifiques mais il reste à concrétiser. Les services d’eau potable cherchent à réduire les fuites dans leurs réseaux. En revanche, la filière agricole ne semble pas se préparer activement à une telle baisse.

Des enjeux collectifs et donc politiques

Agir nécessite des efforts de tous, ce qui implique des actions collectives. Leur pilotage est de la responsabilité des décideurs politiques. Comme l’ONU vient de le rappeler, les politiques actuelles d’un grand nombre de pays sont insuffisantes. Sur certains aspects, c’est le cas en France. Des sursauts sont nécessaires pour traiter l’ensemble des enjeux de l’eau bien plus vigoureusement et plus solidairement en se guidant sur la boussole des ODD.

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