Calottes glaciaires et points de non-retour
278 milliards de tonnes de glace (Gt) perdus par an, 155 Gt/an et 220 Gt/an. Ce sont les tristes bilans de perte de glace de nos calottes glaciaires (respectivement du Groenland, de l’Antarctique, et des glaciers de montagne) annoncés par le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC) pour la période 2006 et 2015.
Même si ces chiffres nous paraissent totalement abstraits, ils ont des conséquences immenses sur les populations, notamment à travers la hausse du niveau marin dont la contribution pour cette même période est de presque 2 mm/an. Ces taux de fonte s’accélèrent et de plus en plus d’études s’accordent à dire que nous allons rapidement atteindre des « points de non-retour », entraînant des pertes irrémédiables de grandes quantités de glace. Pour comprendre le fonctionnement de ces seuils, nous allons regarder plus précisément les mécanismes en jeu dans la fonte de ces colosses de glace que sont les calottes du Groenland et de l’Antarctique.
Le Groenland, d’une épaisseur moyenne de glace de 1 km et d’une surface de 1,7 millions de km2, représente à lui seul une contribution potentielle de 7 mètres à la hausse du niveau marin. Depuis le début du siècle, la fonte de la calotte du Groenland est une conséquence à la fois de la fonte de surface de sa glace (causée par l’augmentation de la température de l’air et par le soleil), de la fonte basale (de la glace au contact de l’eau qui se réchauffe) et du vêlage d’icebergs, c’est-à-dire le décrochage d’un morceau de glace. Sous l’effet de l’augmentation de la température, ces processus s’emballent. La fonte superficielle entraîne l’infiltration d’eau vers la base des glaciers au contact de la roche, accélérant leur écoulement en le lubrifiant. Ensuite l’arrivée de courants d’eau chaude qui viennent lécher les fronts de glace amplifie également leur recul. Pour contrebalancer ces pertes spectaculaires de glace, il faudrait au moins une année complète de précipitations de neige.
La calotte Antarctique quant à elle, est le plus grand contributeur potentiel à la hausse du niveau marin avec ses 14 millions de km2 de surface et ses 2,2 km d’épaisseur moyenne. Pourtant, son inaccessibilité (et donc le manque de données) mêlée à ses dimensions gigantesques, en font le plus grand point d’interrogation à ces questions de fonte. En comparaison avec sa grande sœur du Nord, la disparition de sa glace se fait essentiellement via deux mécanismes : la fonte basale des grandes plateformes de glace flottant sur l’eau, et le vêlage d’icebergs.
La déstabilisation des plateformes flottantes telles que celles de Ross ou de Ronne sous l’effet de l’intrusion d’eau de plus en plus chaude, entraîne avec elle les glaciers émissaires qui drainent de grandes quantités de glace de la calotte et partent ainsi vers la mer. L’Ouest de l’Antarctique, qui compte l’essentiel des plateformes, est bien plus vulnérable au réchauffement que l’Est. Il serait en passe de disparaître.
Atteindre un point de non-retour entraînerait des fontes irréversibles sur plusieurs siècles avec en parallèle une accélération des contributions à la hausse du niveau marin. Mais où se placent ces seuils ? En Antarctique, de plus en plus de scientifiques le place à 2°C d’augmentation de la température sachant que nous avons déjà dépassé 1°C de réchauffement en 2018. Au Groenland, où le réchauffement est plus important, ce seuil serait très proche de 1.5°C. Certains scientifiques ont même annoncé (peut-être à tort) que nous l’avions déjà dépassé. 2°C de réchauffement, c’est l’accord de Paris, un scénario d’émissions de gaz à effet de serre qualifié « d’optimiste ».
Alors que sera le futur de nos cathédrales de glace qui ont mis des millions d’années à se construire si nous atteignons 3°C voir 4°C d’augmentation de la température ?
Dans ce nuage de questions une certitude subsiste : il nous faut à tout prix réduire nos émissions.