Cette crise est une opportunité pour changer les lignes, pour basculer dans un autre modèle
Que vous inspire le rapport de l’ONU sur le progrès des Objectifs de développement durable-ODD paru en juillet 2020 ?
Le rapport annuel de l’ONU fait le constat qu’il y a des Objectifs parmi les 17 ODD dont la gravité augmente. Ce que nous étions arrivés à éradiquer, comme pour partie la faim dans le monde, ne progresse plus et s’aggrave même. La crise sanitaire actuelle va entraîner la résurgence de quelque chose que l’on espérait voir disparaître : des populations entières qui vont tomber dans la grande précarité, et cela dans les Pays du Sud comme dans les Pays du Nord désormais.
Quant à l’état d’avancement de l’Objectif de développement 13 « Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques » notamment, j’espérais une baisse des émissions lors de la période de confinement, mais il y a un débat : cette baisse est évidemment significative dans la période donnée, mais nous constatons une augmentation des émissions depuis le déconfinement. Il faudrait profiter de cette accalmie pour rehausser notre niveau d’ambition, que l’Accord de Paris a arbitré trop timidement par rapport aux observations des scientifiques. Ainsi, pour ce premier bilan des cinq ans, la trajectoire des ODD semble très compromise.
Durant ces cinq premières années, les ODD n’ont pas été remplis pour plusieurs raisons. Tout d’abord, nous sommes partis beaucoup trop tard dans la lutte contre ces menaces environnementales et sociétales : l’ordre de marche pour atteindre l’Agenda 2030 aurait dû commencer en 2016 et non en 2018 comme la France l’a fait. Ensuite, la pandémie de covid-19 a impacté absolument tous les ODD et a mis les indicateurs au rouge (la faim, la pauvreté, l’éducation, la biodiversité…). Les Objectifs Mondiaux de Développement-OMD avaient déjà été aussi compromis par la crise économique et financière des années 2000, mais moins pour les Pays du Sud que les Pays du Nord, alors que cette pandémie est quant à elle mondiale.
Cependant, outre ces temps d’incertitude que nous vivons, je pense qu’il est important de ne pas renoncer à ces plans que nous avons faits. Le retour au Commissariat général au Plan présenté par le premier ministre devant l’Assemblée Nationale, le 15 juillet dernier, semble selon moi être une opportunité. Le Comité 21 y est favorable, l’a dit dans son rapport sur la Grande Transformation, car il impliquerait la réalisation des ODD et de la prospective comme perspective de sens pour tous.
Quelle est votre position sur les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat ?
Le Comité 21, qui œuvre depuis 25 ans à la transformation durable de notre modèle économique et social, apprécie sur plusieurs points la séquence globale que nous venons de vivre : l’expérimentation de démocratie participative pour concilier transition écologique et justice sociale, et cela à travers la Convention Citoyenne pour le Climat. Le terme même de « Transformation » – que nous privilégions depuis 4 ans désor-mais au détriment de « Transition » afin de refléter le niveau d’ambition et l’urgence d’agir – a été adopté au plus haut niveau de l’État dans le discours de politique générale, et nous nous en félicitons. Même si les 15 milliards supplémentaires alloués à cette transformation nationale sont insuffisants au regard de l’enjeu (mais a été proposé par les seuls experts invités par la Convention, à la surprise de beaucoup d’autres), heureusement, les contributions de l’Union Européenne sont fléchées à 30 % pour la relance verte, ainsi que le plan de relance français. Tout cela concourt à nous indiquer que nous sommes véritablement dans un moment de bascule.
S’il faut reconnaître que la Convention Citoyenne pour le Climat fut une expérimentation passionnante pour les citoyens concernés, et qui a mobilisé au-delà, il convient néanmoins d’en souligner certaines faiblesses, afin que cette expérience puisse à l’avenir déployer toute son utilité et sa légitimité. Sur la gouvernance et l’expertise extérieure d’abord : malgré des moyens très importants, une sorte de consanguinité entre membres de la gouvernance, les personnes auditionnées, et la documentation fournie ne respectent pas les principes de la démocratie participative. On retrouve dans les personnes auditionnées les membres de la gouvernance, dont certains travaillent à la fois dans des cabinets privés spécialisés dans l’énergie, le Haut Conseil du Climat et des ONG. Par ailleurs, aucune trace de la synthèse du Grand Débat National, qui aurait pu éclairer les citoyens sur la complexité des aspirations des 65 millions d’autres citoyens français. Sur les propositions ensuite : le Comité 21 regrette que les Objectifs de Développement Durable (ODD) pour lesquels il avait proposé, comme beaucoup d’autres, une contribution sur le site de la Convention, n’aient pas été évoqués, alors qu’ils auraient utilement fournis une boussole pour toutes les propositions. Pour finir, je vois avec grande satisfaction l’écologie progresser chez nos concitoyens, mais rappelle qu’au vu du résultat des élections municipales, et en particulier de l’abstention, cette progression est concentrée dans les grandes villes et qu’une réflexion pro-fonde doit être entamée pour qu’une fracture plus importante encore ne mine le pays, en particulier entre zones rurales et zones urbaines, qui ne peut être évitée que par une réforme et reconquête de la démocratie représentative, socle de nos principes constitutionnels.
Ainsi, comme nous pouvons le voir à travers cette convention, je pense que cette crise est une opportunité pour changer les lignes, pour basculer dans un autre modèle. Nous avons pris trop de retard dans les vingt premières années du siècle. Nous avons eu une prise de conscience mais n’avons pas changé de système. Ensuite, il y a eu l’Accord de Paris, sur lequel je suis sceptique car celui-ci est fondé sur quelque chose de faux : les 2 degrés ne sont plus atteignables (on le savait en 2015…) et nous savons pertinemment que nous les dépasserons. À la suite de cela pendant 4 ans, il ne s’est rien passé car des mesures contraignantes n’ont pas été prévues. Désormais, la pression des citoyens est beaucoup plus forte donc, heureusement, les choses s’accélèrent. Ce 21e siècle est placé sous le signe de la hâte : le dilemme est d’aller vite mais sans causer de casse sociale supplémentaire. Pour cette réalisation, il est notamment important de créer des programmes de formation (par exemple les artisans ne sont pas assez formés sur les transformations énergétiques).
Comment mettez-vous en œuvre dans le cadre de vos travaux l’ODD 17 des Nations Unies ? Quelle est votre nouvelle feuille de route pour cette décennie ?
Notre feuille de route « La grande Transformation » comporte quatre grands programmes : « Économie et Société » (le développement de nouveaux modèles d’affaire…), « Villes et Territoires » (budget vert, coopération des territoires…), « Énergie et Climat » (neutralité carbone et l’adaptation au changement climatique) et « Citoyenneté et Démocratie ». Au sein du programme « Économie et Société » est prévu la constitution de « sociétés de bien commun », qui permettrai d’associer des collectivités et des entrepreneurs, de façon à permettre de justes rémunérations des deux parties, les unes destinées à pousser les collectivités à l’innovation sans risques sur les budgets publiques, les autres à travailler de façon rémunératrice.
Deux autres projets transversaux sont également prévus : le premier sur une note de décryptage sur l’ODD 17. En effet, la feuille de route du Comité 21 est largement fondée autour de l’ODD 17 (le renforcement des partenariats pour la réalisation d’objectifs). C’est un ODD extrêmement important car il représente les partenariat scientifiques, thématiques… tout en étant articulé autour d’indicateurs très précis et utiles ; il sert à donner une méthode de réalisation pour chaque objectif. Cet ODD est notre ADN, notre raison d’être car nous sommes la seule organisation à faire travailler conjointement les territoires et les entreprises.
Concernant le deuxième projet, nous avons lancé dès 2017 un Tour de France des ODD. Les ambitions de ce programme sont de créer des partenariats multi-acteurs autour de rencontres, débats et ateliers thématiques, de favoriser une appropriation des Objectifs de développement durable et d’inciter les collaborations, notamment internationales. Nos équipes ont du s’adapter en 2020 en raison de la crise sanitaire et beaucoup d’étapes qui devaient avoir lieu cette année sont repoussées à 2021 : si l’étape Bourgogne Franche Comté (Dijon) a pu avoir lieu le 30 septembre dernier étape tournée vers les acteurs de l’éducation, nous avons décidé en accord et concertation avec les acteurs locaux de reporter l’étape Occitanie dans le Tarn en partenariat avec le festival FREDD au printemps ou à l’automne 2021 ; idem pour l’étape en Isère (Grenoble) qui devait avoir lieu le 10 novembre et qui est désormais reportée à la première semaine d’avril dans le cadre de Biennal des villes en transition ; idem également pour l’étape Ile de France, initialement prévue le 10 décembre en partenariat avec TEDDIF et reportée début février. Nous prévoyons également de nous arrêter en Sud Nouvelle Aquitaine, autour des acteurs girondins, en Nord Nouvelle Aquitaine à l’automne, dans les Antilles en mai ou en juin et en Corse à l’automne également. Bien évidemment, ce calendrier que je partage avec vous aujourd’hui en novembre 2020 est susceptible d’être modifié en fonction de l’évolution sanitaire. Ce Tour de France des ODD est soutenu par l’Agence française de développement, le Ministère de la Transition écologique et solidaire, l’ADEME et la Banque des territoires.
Tout le monde a remarqué que le Premier Ministre martelait l’importance des territoires. Depuis 1995, le Comité 21 soutient les territoires dans leurs démarches de durabilité ; nous nous réjouissons donc de cette priorité politique, que les faits budgétaires en particulier doivent étayer. « Où atterrir ? », interrogeait Bruno Latour en parlant du désarroi écologique ; la réponse est s’ancrer dans la transformation des territoires tout en soutenant les initiatives multilatérales. Finalement, le renouveau de la fameuse formule : penser global, agir local !