L’espérance de vie vaut mieux que la croissance
Vous êtes l’auteur de l’ouvrage Et si la santé guidait le monde, l’espérance de vie vaut mieux que la croissance, (2020, éd. Les Liens qui Libèrent) : quels liens faites-vous entre épuisement des ressources, destruction de la biosphère et risques sur la santé et l’espérance de vie ?
Le 7 avril 2020 marque pour moi le début du xxie siècle : ce jour-là, 4 milliards d’humains sont confinés dans 100 pays du monde et perdent le cœur de leur humanité – leurs liens sociaux – pour limiter la propagation mortelle de la pandémie de Covid-19. Une maladie qui, il faut le rappeler, a été déclenchée par la destruction massive des écosystèmes, en l’occurrence la déforestation et la marchandisation de la biodiversité. L’origine de cette zoonose, en Chine, à Wuhan, sur le marché d’animaux vivants, est désormais un fait établi. Cette zoonose prend sa place dans une série bien balisée : Ebola, le Sras, le Mers, etc. La destruction du vivant engendre une multiplication des maladies infectieuses qui reviennent nous frapper et se combiner aux maladies chroniques, dont une part croissante s’explique également par des facteurs environnementaux comme la pollution de l’air. à l’évidence, nous détruisons notre santé en détruisant notre environnement : en 2020, on a 9 millions de morts du fait de la pollution de l’air et de l’eau et 9 millions de morts du Covid, soit 15 % de la mortalité mondiale + 15 % de surmortalité mondiale. Au total le Covid a tué à ce jour près de 20 millions de personnes et provoqué un recul historique du développement humain (revenu, santé, éducation), c’est vertigineux. à l’été 2022, un véritable électrochoc se produit : nous avons encore mieux compris l’enchaînement infernal entre des systèmes économiques en surproduction, des émissions de gaz à effet de serre hors de contrôle, des températures qui s’élèvent et nos organismes qui souffrent. Quand on ressent la crise climatique dans sa chair, on prend toute la mesure des chocs écologiques. Ces canicules ont été un désastre mondial, avec près de 12 000 morts en France et des incendies extrêmes qui se sont mués en expérience intime pour des centaines de milliers de personnes dont d’habitat et les terres ont été ravagés comme à la Teste-de-Buch. Ces traumatismes nous font réaliser encore davantage combien notre santé, physique et psychologique, dépend étroitement de la santé de notre planète.
Vous êtes l’auteur d’une représentation, « la boucle sociale-écologique » qui explique l’imbrication entre système sociaux et systèmes naturels : de quoi s’agit-il ?
Le double récit de l’interdépendance écologique et de la coopération sociale que je travaille depuis 2011 et mon livre Social-écologie débouche sur une boucle social-écologique dont le caractère perpétuel veut signifier la soutenabilité : l’interdépendance écologique fonde la coopération sociale qui renforce en retour l’interdépendance écologique, systèmes sociaux et naturels sont ainsi entrelacés à l’infini plus que simplement encastrés. Au cœur de cette vision se déploie une politique visant à renouer des attaches naturelles et des liens sociaux qui s’apparente à une véritable politique de l’amour et que l’on aurait tort de prendre à la légère : il n’est guère de force plus puissante que les trois amours mis en lumière et en mouvement par Martin Luther King dans son combat pour les droits civiques (eros ou l’amour esthétique et charnel, philia ou l’amour des proches et des siens, agapé ou l’amour universel, l’amour de celles et ceux qui sont loin, autres et pourtant semblables).
Dans sa dernière version, qui vient clore mon prochain livre économie pour le xxie siècle – Manuel des transitions justes (à paraît à La Découverte en janvier 2023) cette représentation met en lumière et en mouvement trois transitions contemporaines : écologique, sociale et numérique. Tandis qu’une double convergence entre transition sociale et transition écologique s’opère au moyen de deux axes puissants explorés dans cet ouvrage (la pleine santé et la réduction des inégalités sociales), la transition numérique parasite la boucle social-écologique en favorisant la rematérialisation des systèmes économiques et la désociallisation.