Les experts : Goodall Jane

Goodall Jane

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Nous rassembler et agir dès maintenant, ensemble, avant qu’il ne soit trop tard

Docteur Jane Goodall, vous collaborez avec la communauté scientifique travaillant sur la conservation des forêts, de la biodiversité et de la faune sauvage. Vous encouragez également la création de groupes de travail pour mener une réflexion commune. Comment réunir des scientifiques et des militants autour d’un tel projet ?

Le plus important est de toucher le cœur des gens. Les scientifiques qui travaillent sur des problèmes tels que le changement climatique, la perte de biodiversité, la pollution, l’agriculture industrielle, etc. se méfient parfois des militants. Et c’est compréhensible, car les militants sont parfois animés par la haine, la colère et une position sans compromis.

Cependant, dans la vie réelle, il est nécessaire de faire des compromis – tant que vous ne compromettez pas vos valeurs. Le secret consiste essentiellement à comprendre que les gens ne changent vraiment que de l’intérieur. Vous devez atteindre leur cœur, qu’il s’agisse de scientifiques, de militants ou d’entre-prises. Chacun apporte son savoir, son approche. Nous sommes complémentaires. Comment y parvenir ? Avec des histoires, en étant rationnel et en étant prêt à faire des compromis – car rien n’est noir ou blanc.   

Le Jane Goodall Institute travaille en étroite collaboration avec des associations qui défendent la faune et la flore et luttent activement contre la déforestation. Pourriez-vous également nous parler de tout le travail que votre organisation réalise sur le terrain avec les populations locales et les associations qui sont essentielles et pas toujours visibles ? 

Au milieu des années 1980, lorsque j’ai pris conscience de l’ampleur de la déforestation et du déclin du nombre de chimpanzés, j’ai parcouru l’Afrique pour en savoir plus sur les problèmes rencontrés par les chimpanzés. Mais en même temps, j’ai beaucoup appris sur la situation critique de tant d’Africains vivant dans les habitats naturels des chimpanzés et aux alentours (la forêt) : la pauvreté extrême, l’absence d’installations sanitaires et éducatives de qualité (ou l’absence de telles installations), la dégradation de la terre au fur et à mesure que les populations – humaines et animales – augmentaient. Lorsque j’ai survolé le minuscule parc national de Gombe, où notre étude sur les chimpanzés en est maintenant à sa 62e année, j’ai été horrifiée. En 1960, Gombe faisait partie de la grande ceinture de forêt équatoriale qui s’étendait jusqu’à la côte ouest ; et là, c’était devenu une petite île de forêt entourée de collines nues. Il y avait plus de gens que la terre ne pouvait en supporter. Les populations locales étaient trop pauvres pour acheter de la nourriture ailleurs. Ils coupaient les arbres pour survivre – pour faire de la place afin de cultiver plus de nourriture pour leurs familles grandissantes, ou pour gagner de l’argent avec le bois ou le charbon de bois. C’est alors que j’ai compris que si nous n’aidions pas ces personnes à trouver des moyens de gagner leur vie sans détruire leur environnement, nous ne pourrons pas sauver les chimpanzés, les forêts ou quoi que ce soit d’autre. 

C’est ainsi qu’en 1994, le Jane Goodall Institute a lancé son programme Tacare, sa méthode de conservation communautaire. Nous avons restauré la fertilité des terres agricoles surexploitées, encouragé les autorités locales de Tanzanie à améliorer leurs infrastructures sanitaires et éducatives, introduit des programmes de gestion de l’eau, offert des possibilités de microfinancement afin que les gens puissent contracter de petits prêts pour lancer leurs propres petites entreprises durables sur le plan environnemental. Depuis, nous offrons également des bourses aux filles pour leur donner une chance de suivre un enseignement secondaire. Partout dans le monde, plus l’éducation des femmes s’améliore, plus la taille des familles diminue.  Et nous fournissons des informations sur le planning familial – acceptées avec empressement car les gens savent qu’une bonne éducation est un moyen de sortir de la pauvreté, et les gens ne peuvent plus se permettre d’élever 8 ou 10 enfants, ce qui était la norme lorsque je suis arrivée à Gombe.

Ce programme Tacare est maintenant mis en œuvre dans 104 villages de l’aire de répartition des chimpanzés en Tanzanie et dans 6 autres pays africains où l’Institut travaille à la conservation des chimpanzés. Les gens se rendent compte que la protection de la forêt n’est pas seulement pour la faune, mais aussi pour leur propre avenir. Ils sont devenus nos partenaires dans la conservation. 

En France, le Jane Goodall Institute a lancé une magnifique campagne appelée « le réveil des forces sauvages ». Son objectif est de mettre en lumière, chaque année, des associations de protection de la faune sauvage et de son habitat en France. En leur apportant notoriété, fonds, et en sensibilisant le grand public aux enjeux de la faune sauvage en France. Un bel exemple de notre collaboration avec d’autres ONG !

Le Jane Goodall Institute participe à des projets de sensibilisation, notamment auprès des jeunes, afin de les inciter à agir pour la durabilité. Comment mettre l’accent sur la sensibilisation et l’éducation au respect de la vie ?

Lorsque je voyageais dans le monde, à la fin des années 1980, je constatais déjà que de nombreux jeunes perdaient espoir. Ils étaient pour la plupart apathiques, ne semblant pas s’en soucier. Certains étaient profondément déprimés, d’autres étaient en colère. Et lorsque je leur demandais pourquoi ils se sentaient ainsi, ils répondaient presque tous la même chose : « Vous avez compromis notre avenir et nous ne pouvons rien y faire ». En effet, ils ont raison : nous avons compromis leur avenir. Depuis la révolution industrielle, nous croyons en cette idée absurde qu’il peut y avoir un développement économique illimité sur une planète dont les ressources naturelles sont limitées et dont la population humaine, ainsi que celle des animaux d’élevage, augmentent.  

Mais je ne pouvais pas convenir qu’il était trop tard pour faire quoi que ce soit. Ainsi, en 1991, avec un groupe de lycéens tanzaniens préoccupés par de nombreux problèmes – braconnage, pêche à la dynamite, enfants sans abri, mauvais traitement des chiens, etc. – j’ai lancé le programme humanitaire et environnemental du Jane Goodall Institute destiné aux jeunes, de la maternelle à l’université, le programme Roots & Shoots (des racines et des bourgeons). Il est maintenant présent dans 65 pays et ne cesse de croître – des centaines et des milliers de jeunes choisissent des projets pour rendre le monde meilleur – pour les gens, pour les animaux, pour l’environnement. Ils changent le monde.

En France, ce sont des centaines, des milliers de groupes qui agissent, concrètement. Qui s’impliquent, qui s’engagent pour la paix (en témoignant ou bien via notre concours d’éloquence), pour les hommes (les réfugiés, les sans-abris…), pour les animaux (contre le trafic illicite des animaux sauvages, contre la déforestation importée ou l’élevage intensif), pour la nature (en plantant des arbres, en nettoyant des plages…). Chacun d’entre nous a un impact chaque jour, à nous de savoir quel impact nous voulons avoir. Ils ont choisi !

À la lumière de votre expérience, comment envisagez-vous l’avenir de notre planète avec la question du climat ? 

Je vois que notre espèce se trouve à l’entrée d’un tunnel très long et très sombre. Au bout, il y a une petite étoile qui brille – l’espoir. Mais il ne sert à rien de rester assis et d’espérer que l’étoile viendra vers nous.  Non, nous devons retrousser nos manches et ramper, escalader et contourner les très nombreux obstacles qui se trouvent entre nous et le bout du tunnel. Il y a tant de problèmes – le changement climatique, la perte de biodiversité, la pollution, les fermes industrielles, l’agriculture industrielle qui utilise des pesticides et des herbicides chimiques qui tuent les sols et tant d’autres encore… La bonne nouvelle est qu’il y a des gens qui travaillent pour trouver des solutions à chaque problème.  Malheureusement, ils travaillent souvent en silos ; ils ne réalisent pas toujours que le problème particulier sur lequel ils travaillent fait partie d’un ensemble de problèmes interconnectés, ce qui signifie que s’ils peuvent résoudre leur problème particulier, ils peuvent causer un problème ailleurs. Nous devons travailler ensemble, en collaboration, si nous voulons arriver au bout du tunnel.  Nous disposons d’une fenêtre de temps, qui se referme, pour commencer à ralentir le changement climatique et la perte de biodiversité – pour le bien de la vie sur terre, y compris notre propre espèce. Nous devons nous rassembler et agir dès maintenant, ensemble, avant qu’il ne soit trop tard.

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