La RSE, une boussole dans une tempête de sable
La responsabilité sociétale de l’entreprise s’inscrit dans une tendance qui remonte à plusieurs décennies. Une évidence s’impose aujourd’hui : l’entreprise porte des responsabilités qui vont au-delà de son strict objet social.
Le « pacte social » fondateur de l’entreprise au 19e siècle avait défini les conditions de production des biens et des services par la mise en œuvre des moyens financiers, de l’investissement industriel et de l’organisation du travail. L’immense élan productiviste né de cette initiative avait ouvert la voie à une meilleure prise en considération des conditions de vie des collaborateurs et de la plus grande satisfaction des clients. Ce capitalisme « éclairé » avait opéré comme un relai dans l’aventure productiviste initiée par l’aire industrielle.
Avec l’émergence de la responsabilité sociétale de l’entreprise nous assistons à la fois à une poursuite de ce mouvement mais également un véritable élargissement qui en modifie de fait la nature. En effet, quand toutes les structures traditionnelles qui ont fondé nos sociétés – le village, le lien religieux, l’engagement politique –, s’étiolent, l’entreprise suit une trace qui lui est propre : étant par nature en situation permanente de survie par l’exercice constant de la prise de risque entrepreneuriale, elle a su résister d’une façon particulière à cette évolution brutale et rapide. C’est dans ces circonstances qu’elle est amenée à prendre conscience et donc à répondre à la responsabilité nouvelle qui repose sur elle : en plus de sa vocation première sur le plan économique qui lui donnait des responsabilités financières et sociales, elle doit assumer des enjeux qui touchent à la vie individuelle et collective : sa responsabilité sociétale est née. Les collaborateurs expriment le besoin de lien social et de reconnaissance ainsi que leur exigence de sens ; les clients et les prestataires sollicitent une relation réciproque et enrichie dépassant la seule prestation économique ; les financiers orientent la fonction actionnariale vers un plus grand respect des conditions de travail, de la nature et de l’environnement. Au point qu’une vraie tension peut s’opérer entre les actionnaires activistes qui veulent ramener les dirigeants à l’exigence première du profit et les tenants de la finance verte ou des fonds de partage qui exigent que soient simultanément pris en compte d’autres objectifs à caractère sociétal.
Ainsi en quelques années on est passé de l’intuition du besoin d’un développement durable à l’exigence de la responsabilité sociétale de l’entreprise qui intègre dans la création de valeurs la préoccupation de ce que l’on désigne sous le terme générique de « commun ». Cette impulsion va porter des effets considérables dans les gestions du « grand basculement » dans lequel sont engagées nos sociétés et dont la crise sanitaire mondiale opère le dévoilement. La sortie de cette grande tempête de sable passera par la réorientation des investissements et la redéfinition des stratégies. La RSE apparaît alors comme l’un des éléments structurants de la résilience collective de nos sociétés.
Il ne s’agit donc pas d’un luxe, ni d’une réflexion intellectuelle détachée des réalités économiques mais d’une régénération nécessaire du système productif, intégrant l’ensemble de la valeur ajoutée créé par l’entreprise pour ses actionnaires et également au bénéfice de toutes les parties prenantes, c’est-à-dire du bien commun. Les initiatives récentes sur le plan juridiques (définitions des « entreprises à mission » dans la loi PACTE) comme sur le plan comptable pour apprécier dans les bilans les véritables créations de valeur, vont dans ce sens. Sur le plan opérationnel, il est heureux de voir se créer au sein de la plupart des entreprises comme par exemple dans celles qui sont engagées dans l’industrie de la construction de la ville, des « comités des parties prenantes » ayant pour vocation d’éclairer les conseils d’administration sur les décisions stratégiques qu’ils ont à prendre. Cette juste création de valeur devra être reconnue en respectant l’exigence de profit qui est le critère de réussite de l’entrepreneuriat mais aussi en combattant les excès liés aux situations dominantes de certaines entreprises mondialisées ayant échappé à tout contrôle, notamment dans le secteur du numérique.
La mise en œuvre et la mesure de la responsabilité sociétale de l’entreprise s’impose alors comme le véritable critère de réussite.