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Couturier Christophe

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L’impact de la finance sur le développement durable

Selon l’effet des valorisations issu de la théorie financière, si personne n’achète les actions d’une entreprise polluante, son prix baisse, tout comme sa capacité à se financer et donc à se développer en raison du prix élevé de son capital. Au contraire, une entreprise dont le prix de l’action est élevé et qui fait des efforts reconnus attire les investisseurs sensibles à la finance durable, ce qui lui permet d’émettre facilement du capital à un prix raisonnable et donc de se développer.

Ainsi, au bout d’un certain temps, l’entreprise vertueuse l’emportera sur l’entreprise moins vertueuse, et par sélection naturelle, seules les premières survivront, permettant le progrès. En réalité, cet effet ne se fait sentir qu’à très long terme, à un horizon qui n’est pas adapté aux réalités sociales et aux contraintes sociétales telles que la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique. Selon moi, l’essentiel de l’impact de la finance durable repose sur le principe du « regard social ».

Qu’est-ce que le « regard social »

Quand vous regardez un enfant faire une bêtise, en général, sauf s’il veut provoquer, il s’arrête sans qu’il y ait besoin d’intervenir. Pour les patrons d’entreprises cotées, il en va de même : craignant d’être pointés du doigt dans leurs mauvaises pratiques d’entreprise, ils préfèrent ne pas apparaître comme le vilain petit canard aux yeux de leur famille, de leurs pairs, salariés, administrateurs et actionnaires…. Alors, ils agissent !

Ce principe est mis en œuvre par l’article 173 de la loi de transition énergétique qui impose seulement aux investisseurs institutionnels de publier avec transparence les informations concernant l’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leurs opérations d’investissement. En soit, ils pourraient se contenter de répondre à cette exigence légale en décrivant succinctement quelques moyens qu’ils mettent en œuvre selon des modalités légères. Cependant, personne ne veut avoir la honte publique de dire qu’il ne fait rien. C’est pourquoi les investisseurs demandent des détails sur les actions menées par les entreprises afin de choisir les plus vertueuses et montrer qu’ils les sélectionnent avec rigueur. Les entreprises finissent par prendre des mesures en intégrant des objectifs effectifs dans leurs activités pour les rendre plus vertueuses.
Ainsi, grâce au mécanisme du regard social, des millions de micro-mesures sont prises par des personnes en capacité d’agir avec discernement, sur le terrain, là où c’est utile. Cela permet aux entreprises d’atteindre des objectifs durables concrets tout en protégeant leur rentabilité. Ainsi, la Finance Durable me semble avoir un impact fort, rapide et de portée générale.

Quand rentabilité rime avec progrès de la société

L’équilibre entre rentabilité et progrès est essentiel et guide notre démarche d’influence et de progrès. Rappelons que les travaux de l’ONU avec Ignacy Sachs sur l’écodurabilité (1972), le rapport Brundtland (1987) et le modèle de la Commission européenne (2001) ont défini le développement durable comme un équilibre harmonieux entre les enjeux sociaux, environnementaux et économiques. Or, on oublie souvent que la dimension économique fait partie intégrante de cette notion au même titre que ses deux autres composantes. Il convient donc de ne pas opposer les questions de rentabilité et de risque de la finance traditionnelle aux aspects sociaux et environnementaux.

La finance durable prend plus particulièrement en compte ces deux derniers critères, mais les trois composantes forment un tout. Pas de développement durable sans prospérité économique, laquelle repose sur la bonne rentabilité des entreprises ! En tant qu’investisseur, je crois que tout en étant exigeant sur les critères extra-financiers, il est crucial de ne pas perdre de vue la question de la rentabilité. J’apprécie la démarche d’influence et de progrès car, par le mécanisme du regard social qui pousse les entreprises à s’expliquer et encourage en permanence les plus mal classées à « essayer encore », elle est plus efficace que les mesures excluantes, très à la mode, notamment dans le domaine environnemental :
Tout d’abord, sur le principe, exclure empêche de progresser. Notre degré d’évolution civilisationnelle peut et doit apporter une réponse plus efficace que cette pratique manichéenne et « sectaire » de l’exclusion.

Ensuite, répondre par l’exclusion ne me semble pas cohérent. Priver de l’accès à des financements des pans entiers de l’économie a des conséquences sociales qui doivent être prises en compte quand on étudie les aspects du développement durable comme un tout. Dans cette démarche, le Social ne doit pas être sacrifié au profit de l’Environnement. La crise sociale de fin 2019 a montré à quel point les équilibres sont complexes à trouver et cela semble mal s’accommoder du grand coup de hache qu’est l’exclusion.

Enfin, l’exclusion est facteur de risques. Afin d’atteindre les objectifs ambitieux mais nécessaires de limitation du réchauffement climatique, le plus efficace est d’obtenir des progrès substantiels au niveau des activités les plus polluantes. Exclure ces activités qui ont un mauvais score aujourd’hui me semble être un système trop statique. Les efforts des entreprises pour dépolluer leurs process ou même entreprendre des mutations complètes de leurs activités méritent d’être pris en compte. Ils s’inscrivent dans une trajectoire vertueuse qui nécessite des investissements importants, investissements qu’il est difficile de réaliser si les entreprises concernées sont exclues de l’accès aux financements. Les partisans de l’exclusion espèrent que les activités exclues feront les efforts nécessaires pour éviter la marginalisation. Cependant, que se passera-t-il si la masse des secteurs exclus est telle qu’ils parviennent à réunir des capacités de financement suffisantes sans aucune exigence ? Comment conserver une capacité d’influence et d’encouragement au progrès si ces activités parviennent à fonctionner de manière autonome, sans contraintes extra-financières ? Cela conduirait à une régression et à une partition risquée et dommageable de l’économie. L’existence des vice funds, finançant préférentiellement les secteurs exclus par les fonds éthiques ou responsables, devrait inviter à réfléchir.

Par ailleurs, la performance extra-financière est une notion relative dans le temps. Les entreprises considérées comme vertueuses aujourd’hui ne le seront plus demain si elles ne font pas d’efforts, d’une part en raison de l’évolution des techniques, d’autre part du fait de celle des référentiels. Un véhicule électrique est aujourd’hui considéré comme vertueux, mais s’il s’avérait que le recyclage des batteries crée des problèmes plus importants qu’on ne l’anticipe aujourd’hui, l’appréciation pourrait être différente demain.

Elle est aussi relative entre secteurs économiques : Il n’est pas efficace de concentrer les investissements sur les secteurs peu polluants. En effet, les améliorations ne se feront que marginalement sur ces secteurs, alors que le but est d’obtenir des progrès substantiels sur les émissions globales. En raison du fonctionnement économique complexe et de l’interconnexion des secteurs, une grande prudence et une analyse très fine sont nécessaires pour déterminer l’impact global de politiques d’investissement très segmentées.
Cette période de mutations rapides des modèles économiques plaide pour laisser une place importante à la liberté d’initiative et à la créativité dans la définition des méthodes et des normes. La France a eu la chance que ses régulateurs financiers aient jusqu’à présent laissé cette grande latitude avec l’idée qu’il valait mieux s’appuyer sur une politique de sélection extra-financière des investissements claire et transparente et vérifier qu’elle était bien appliquée par des professionnels ayant un niveau suffisant de connaissances et de compétences, plutôt que sur une codification large du bien et du mal, pourtant prônée par certains.

Cette codification serait sans doute rassurante, mais elle entraînerait un grand risque de conformisme et d’une sclérose des méthodes et critères de sélection ce qui est peu compatible avec l’éclosion d’innovations dont nous avons grand besoin dans ces domaines encore mal balisés.

La finance est un levier d’une grande efficacité pour contribuer à la transition énergétique et à l’amélioration des conditions sociales. Encore faut-il que ces critères extra-financiers restent en équilibre harmonieux avec l’objectif de prospérité économique et qu’un terrain fertile aux innovations soit maintenu durablement.

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