Les experts : Beaudet Thierry

Beaudet Thierry

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Beaudet Thierry

Approfondir la démocratie en mobilisant la société agissante

Paix, justice et institutions efficaces : ces trois intitulés du 16e objectif du développement durable de l’ONU semblent renvoyer aux prérogatives régaliennes du pouvoir exécutif. Il suffirait donc aux gouvernements de prendre par eux-mêmes toutes les mesures nécessaires pour les pérenniser et les défendre, dans le cadre diplomatique ou à l’aide de lois ordinaires, voire constitutionnelles.

Ce qui pouvait valoir au 20e siècle ne tient plus au 21e. La paix n’est plus le fruit de stratèges en chambre, elle dépend de l’équité des échanges économiques, de la stabilité du climat, de l’accès aux ressources, des mouvements d’opinion sur les réseaux sociaux. La justice ne peut plus se réduire à un pouvoir de sanction, elle est une revendication sociale, une quête de vérité défendue par les citoyens, une recherche d’équité entre les générations, les sexes et les classes sociales. Les institutions n’échappent pas à la critique : elles subissent la défiance des citoyens, qui ont souvent du mal à s’y reconnaître, qu’il s’agisse des assemblées élues, des gouvernements ou des partis censés concourir à l’expression du suffrage universel.

Il est nécessaire de comprendre que la démocratie elle-même ne peut se réduire à un régime politique, mais qu’elle est bien plutôt un approfondissement permanent de valeurs fondatrices, un mouvement visant à accroître, par l’éducation et le dialogue social, le pouvoir de comprendre et d’agir des citoyens. Avec cet effet paradoxal de les inciter à une citoyenneté active et critique qui interroge sans cesse le bien-fondé des institutions en place, ou encore de défaire des liens d’affiliation traditionnels et de rendre la société plus instable et complexe à déchiffrer.

Le Conseil économique, social et environnemental est au cœur de cette tension créatrice. Assemblée consultative, elle ne prétend pas rivaliser avec la légitimité obtenue dans les luttes et les polarisations politiques. Elle ne prétend pas non plus offrir une expertise spécialisée qui s’ajouterait à celle des cénacles compétents. Elle vise une expertise d’usage telle que vécue et pensée par la société civile organisée (syndicats, associations, ONG), que l’on pourrait également nommer la société agissante.

Nous le savons, notre siècle ne pourra être la paisible continuation du précédent, car les solutions d’hier sont bien souvent les problèmes d’aujourd’hui. Les inégalités sociales et la crise environnementale suffisent à faire deviner non seulement l’ampleur des réformes nécessaires de nos modes de vie, de production et de consommation, mais l’effort requis pour les rendre acceptables et désirables à des citoyens informés et critiques. Cette double tâche, qui pourrait bien ébranler nos droits et nos libertés, dépasse tout gouvernement et implique le courage de la société tout entière. Maintenir la paix, la justice et l’efficacité des institutions suppose l’élaboration minutieuse du consentement, un rôle de médiateur, un souci de l’inclusion que le Cese incarne en premier lieu, à la faveur de sa récente réforme, avec les outils de la démocratie participative et délibérative.

Le Cese doit valoir comme l’assemblée des réconciliations indispensables dans une démocratie qui s’approfondit toujours plus vite et connaît régulièrement des crises de croissance. C’est ainsi que dans ce contexte de menaces multiples, nous aboutirons à une République des solutions et retrouverons le sens d’un projet partagé, au service de l’ensemble des objectifs du développement durable.

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