Les experts : Adib Rana

Adib Rana

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Adib Rana

Les énergies fossiles sont responsables de 2/3 des émissions gaz à effet de serre. Il est donc primordial de baisser la consommation d’énergie et de développer les énergies renouvelables. Quelle est la situation actuelle dans le monde ?

Les avantages des énergies renouvelables en termes de santé, de climat et de création d’emplois sont incontestables. Aujourd’hui, les énergies renouvelables sont souvent la solution la plus économique ; ainsi plus de 80 % des nouvelles capacités nettes de production d’électricité se basent sur les énergies renouvelables.

Par contre, le dernier rapport mondial sur l’état des énergies renouvelables 2021 de REN21 montre que nous sommes loin du changement de paradigme nécessaire à un avenir énergétique propre, plus sain et plus équitable. La part des combustibles fossiles – le pétrole, le gaz naturel et le charbon – dans la consommation finale d’énergie est aussi élevée qu’il y a dix ans ; elle a baissé de 80,3 % à 80,2 %. En même temps, la part des énergies renouvelables n’a que légèrement augmenté pour atteindre 11,2 % en 2019.

Vu l’écart entre l’ambition et la réalité, il est aujourd’hui urgent de prendre un réel virage : il s’agit de mettre fin à l’exploitation et à l’utilisation des combustibles fossiles, de réduire notre consommation d’énergie et d’accélérer le développement des énergies renouvelables dans tous les secteurs, qu’ils soient producteurs ou consommateurs d’énergie.

Quelle est donc la situation actuelle en France ? Le développement des EnR est-il assez rapide

La France prend de nombreuses mesures pour soutenir l’essor des énergies renouvelables, mais il est nécessaire d’accélérer la transition énergétique. En 2019, la part du renouvelable dans la consommation finale d’énergie est d’environ 17 %. Bien qu’elle se situe au-delà du taux global, la France n’a pas atteint l’objectif fixé par la directive Européenne sur les énergies renouvelables qui prévoyait un part des énergies renouvelables de 23 % en 2020. Il sera donc nécessaire d’accélérer la transition énergétique pour atteindre le nouvel objectif fixé de 32 % en 2030.

Quels rôles jouent les énergies renouvelables pour atteindre les ODD ?

À côte du déploiement de l’efficacité énergétique et de m’amélioration de l’accès à l’énergie, le développement des énergies renouvelables est l’un des piliers de l’ODD 7 : « garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable. L’énergie est ainsi reconnue être un paramètre clé pour le développement ».

L’énergie est consommée partout. Elle est le moteur de nombreuses activités sociétales et économiques. Les énergies renouvelables, quant à elles, offrent de nombreux avantages environnementaux. Ainsi, elles sont déterminantes pour le développement durable de manière plus globale et contribuent directement ou indirectement à la réalisation de la plupart des autres ODD, notamment sur le climat, la santé, la pollution, le développement économique, les infrastructures résilientes et les villes durables.

Il est néanmoins important de noter que de nombreux décideurs font aujourd’hui le choix des énergies renouvelables pour des raisons purement économiques, le bénéfice en termes de sécurité énergétique et de résilience des infrastructures – les aspects sociaux et environnementaux en devenant presque un aspect secondaire.

Bien que les bénéfices soient nombreux, la transition vers les énergies renouvelables est beaucoup trop lente. Quels sont les paramètres bloquants (et que doit-on faire) ?

Bien qu’elles soient, en général, la meilleure solution – en termes d’impacts environnementaux et de résilience au changement climatique, mais aussi pour des raisons économiques – on se rend compte que les énergies renouvelables ne paraissent pas toujours être la solution préférée. Les raisons sont diverses.

Nous avons construit un système énergétique centralisé basé sur les énergies fossiles – le pétrole, le gaz naturel et le charbon – et dans le cas de certains pays comme la France, aussi le nucléaire. Ceci a créé des normes, des structures de décision et des façons de faire qui sont, aujourd’hui, bouleversées par la nature profondément différente de l’énergie renouvelable : elle est décentralisée, locale, permettant à chacun/e de produire sa propre énergie. Ceci bouscule non seulement les normes techniques, mais redéfinit également le jeu d’acteurs et la gouvernance énergétique ; ainsi, les territoires, les villes, les entreprises et les citoyens deviennent acteurs de la transition énergétique.

Les combustibles fossiles sont profondément ancrés dans nos sociétés ainsi que dans nos systèmes économiques, financiers et politiques actuels. Par exemple, si l’on examine les plans de relance liés à la pandémie, les gouvernements investissent six fois plus dans les combustibles fossiles que dans les énergies renouvelables. D’ailleurs, plus de 115 pays continuent à subventionner les combustibles fossiles à hauteur de 550 milliards de dollars par an (contre, par exemple, des investissements dans l’électricité et les énergies renouvelables de 304 milliards de dollars en 2020), ce qui réduit « artificiellement » leur coût. Dans les secteurs fortement consommateurs de combustibles fossiles, comme le secteur des transports et de la chaleur dans l’industrie et le bâtiment, il est donc difficile pour les énergies renouvelables de rivaliser économiquement.

Afin d’établir un système basé sur les énergies renouvelables comme nouvelle norme, il est important : (1) de surmonter le manque d’informations, la désinformation et contrer les mythes qui perdurent à l’aide de campagnes de sensibilisation et d’éducation ; (2) de mettre en œuvre des politiques et des réglementations appuyant leur développement et utilisation des énergies renouvelables ; (3) d’éliminer les subventions pour les énergies fossiles.

Le cadre politique est décisif. Est-ce donc la seule responsabilité des pouvoirs publics d’accélérer la transition énergétique ? Quels sont les acteurs et quels sont les leviers principaux ?

Il s’agit de mener un changement structurel, qui nécessite des objectifs ambitieux, mais également des stratégies, une planification intégrée des infrastructures, ainsi que la définition et la mise en œuvre de cadres politiques et réglementaires. Les gouvernements ont un rôle majeur à jouer. Leur engagement est donc critique.

En revanche, ce ne sont pas seulement les gouvernements nationaux qui peuvent accélérer la transition énergétique, les régions ainsi que les municipalités jouent un rôle clé. En 2020, un milliard de personnes – soit près d’un quart de la population urbaine mondiale – vit dans des villes ayant un objectif ou une politique en matière d’énergies renouvelables. Les énergies renouvelables permettent aux municipalités de prendre en main leur avenir, en produisant par exemple leur propre énergie. Mais l’impact va au-delà de la municipalité : en incitant à l’investissement dans le renouvelable et en imposant, par exemple, des codes de construction stricts et des obligations dans le transport pour améliorer la qualité de l’air, les villes mobilisent l’action d’acteurs économiques, des communautés et des citoyens. Cela amène du changement au-delà de la ville-même.

Le secteur privé joue également un rôle important. Les énergies renouvelables sont au cœur des efforts déployés par les entreprises pour atteindre leurs objectifs de réduction des émissions et de gouvernance responsable sociale et environnementale. Mais, aujourd’hui, ce choix se fait souvent pour des raisons économiques et de gestion de coût de l’énergie. Ainsi, on observe dans de nombreux pays, que la demande en énergie produite à partir de sources renouvelables est un moteur pour déployer des capacités de production, mais également pour la mise en œuvre de politiques et de réglementations en leur faveur.

Les particuliers aussi jouent une rôle cette transition. J’encourage tout le monde à regarder d’où vient son énergie ; souvent, elle n’est pas renouvelable. En fin de compte, les individus prennent de nombreuses décisions sur la provenance de leur énergie, que ce soit pour leur maison, leur voiture ou leur entreprise. Ce sont les personnes et leurs décisions qui feront avancer la transition énergétique. C’est la fameuse théorie du colibri ; chacun à sa part de responsabilité.

Les pays menant le changement structurel s’appuient stratégiquement sur un nombre et une variété d’acteurs plus importants et développent des stratégies d’intégration des secteurs.

Que proposez-vous concrètement ?

Compte tenu du rôle central que doivent jouer les énergies renouvelables pour atteindre les ODD, il est important de mettre l’accent sur leur déploiement dans tous les secteurs et activités économiques. Le rapport mondial REN21 sur l’état des lieux des énergies renouvelables en 2021 montre clairement que les gouvernements doivent donner une impulsion beaucoup plus forte. Pour la première fois, le nombre de pays disposant de politiques de soutien aux énergies renouvelables n’a pas augmenté par rapport à l’année précédente. Il est aussi évident, que les décisions de nombreux acteurs non-gouvernementaux influent sur la transition énergétique ; les demandes de ces acteurs ont moyen accroître l’ambition des gouvernements.

En conséquence, nous appelons à établir un indicateur de performance clé pour toute décision, qu’elle se situe au niveau d’un pays, d’une région, d’une municipalité, d’un secteur et même d’une entreprise : la part du renouvelable dans la consommation d’énergie sera un indicateur permettant d’évaluer si nous sommes sur la bonne voie pour accélérer la transition énergétique de manière systémique.

L’objectif : mettre la transition énergétique au centre de l’attention et l’intégrer dans les stratégies, les décisions d’investissement et la mise en œuvre à l’aide d’un indicateur universel permettant de suivre notre performance collective et individuelle.

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