La décroissance comme transition. La post-croissance pour destination.

Timothée Parrique

Chercheur en économie écologique à l’Université de Lund, en Suède

Auteur de Ralentir ou périr : l’économie de la décroissance, 2022, éditions Seuil

26 janvier 2023, News RSE

Que faut-il retenir des COP27 climat et COP15 biodiversité à l’aune de la décroissance ?

Le concept de décroissance, et la littérature sur le post-capitalisme en général, n’a joué qu’un rôle mineur dans ces discussions, et c’est bien dommage. Les COP patinent, devenues festivals de vœux pieux. On y récite encore le discours trompeur de nous-sommes-tous-dans-le-même-bateau sans prendre en compte la responsabilité des émetteurs historiques. Ce que j’aurais préféré entendre à ces conférences est le message suivant : « la décroissance des pays du Nord sera nécessaire pour, non seulement en finir avec le tabassage écologique imposée par leur « mode de vie impérial » , mais aussi pour libérer des ressources (à commencer par de l’espace climatique) pour le développement des pays du Sud ».

L’absence de décisions politiques fortes lors de ces rassemblements est criminelle, la plus grande non-assistance à personne en danger de l’histoire de notre espèce. Le monde brûle et nous laissons les lobbies des industries fossiles nous convaincre qu’il est dans notre intérêt de jeter de l’huile sur le feu. Le principe de précaution demanderait aujourd’hui une sortie rapide des énergies fossiles mais cette option n’est même pas discutée. À la place, les industriels et leurs économistes chantonnent des cantiques techno-solutionnistes pour rassurer les foules : la technologie nous sauvera.

La situation est la suivante : vous êtes un fumeur régulier hospitalisé pour problèmes respiratoires. Après consultation, un médecin vous conseille d’arrêter la cigarette, du moins jusqu’à ce que votre état s’améliore. Mais l’économiste n’est pas d’accord. Celui-ci confirme que fumer est un problème pour vos poumons, mais vous rassure en disant que, selon ses prédictions, on inventera bientôt des technologies permettant de guérir le cancer. Il vous incite d’ailleurs à fumer davantage afin de générer des revenus pour que l’industrie du tabac puisse investir dans de la R&D. Que feriez-vous ? Toute personne censée arrêterait de fumer sur le champ. La situation dans laquelle nous sommes est la même sauf que ceux qui fument (la minorité la plus fortunée qui représente la majorité des émissions) ne dégradent pas directement leurs poumons mais ceux des populations les plus vulnérables.

Quel nouveau récit inventer pour lever le frein général face aux principes de décroissance ou de post-croissance et accéder à une économie soutenable ?

Le frein n’est pas si général que ça et les lignes bougent rapidement. Il y a 20 ans, le concept de décroissance n’intéressait que les plus radicaux. Aujourd’hui, les oreilles s’ouvrent ; hauts fonctionnaires, entreprises, municipalités, étudiants, et même certains économistes commencent à s’emparer du terme.

Et puis, le contexte a empiré. Aujourd’hui, ce n’est plus la décroissance qui fait peur mais bien le cauchemar écologique qui s’installe peu à peu. Après plusieurs décennies d’échec de stratégies de « croissance verte », il va bien falloir essayer autre chose. Ce sont ceux qui ont peur de la décroissance que l’on devrait assimiler à des Amish ; rien de plus réactionnaire que de considérer le système économique actuel comme un idéal indépassable. La décroissance est une transition vers un nouveau système non seulement écologiquement soutenable (ce n’est pas le cas du capitalisme d’aujourd’hui) mais aussi plus juste et convivial.

Faisons une différence entre la décroissance comme transition et la post-croissance comme destination. Les pays déjà-riches vont devoir entreprendre un régime macroéconomique sans précédent pour faire baisser leurs empreintes écologiques. Pour se faire, ils devront se débarrasser de cette obsession morbide pour l’enrichissement financier et le système qui va avec (le capitalisme, pour faire court). Reste à inventer un nouveau modèle économique qui puisse prospérer sans croissance, une économie stationnaire centrée sur la qualité et le bien-être. Voilà des sujets qu’on aurait dû discuter à la COP !

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