« Le climat de demain dépend des décisions que nous prenons maintenant. »
Valérie Masson-Delmotte, Climatologue, directrice de recherche au CEA et coprésidente du groupe nᵒ 1 du GIEC
Quelles sont les principales conclusions du rapport du GIEC de 2021 tant attendu et où en sommes-nous aujourd’hui ?
Je tiens d’abord à souligner les progrès scientifiques majeurs en sciences du climat, issus de l’observation de la Terre, de l’étude des climats passés, de la compréhension des facteurs et des processus qui façonnent les changements du système climatique, de la modélisation du climat à l’échelle globale et régionale, et de la co-construction d’une information climatique en appui à la prise de décision, dans le cadre des services climatiques.
C’est désormais un fait établi, sans équivoque, que les activités humaines ont réchauffé l’atmosphère, l’océan et la surface des continents, entraînant la fonte des glaces et provoquant des changements généralisés, rapides et qui s’intensifient.
Le rythme et l’ampleur des changements récents constituent une rupture par rapport aux variations naturelles passées du climat.
Le niveau du réchauffement à la surface de la Terre atteint désormais 1,1 °C, pour la dernière décennie, par rapport à la fin du XIXe siècle. Notre meilleure estimation est que l’intégralité de ce réchauffement est dû aux conséquences des activités humaines.
L’influence humaine sur le climat est dominée par les émissions de dioxyde de carbone et de méthane, résultant de l’utilisation de combustibles fossiles, de la déforestation et la destruction de tourbières, d’activités agricoles et industrielles et des déchets.
L’effet réchauffant des gaz à effet de serre est en partie masqué par l’effet refroidissant des particules de pollution.
L’influence humaine sur le climat a encore augmenté au cours de la dernière décennie, du fait d’émissions records de gaz à effet de serre, et de la poursuite de l’augmentation de leur concentration atmosphérique, ainsi que de la diminution de cet effet de masque des particules de pollution, en particulier en Europe et en Amérique du Nord.
Le changement climatique d’origine humaine affecte déjà chaque région de la Terre de multiples façons. Il est plus prononcé au-dessus des continents, où il atteint déjà 1,6°C, et autour de l’Arctique. L’atmosphère se réchauffe, contient plus de vapeur d’eau, avec des changements à grande échelle de la circulation atmosphérique.
La saison de croissance des végétaux s’allonge, et la végétation et les sols captent environ 31% de nos émissions annuelles de CO2. Les zones climatiques se déplacent, affectant les espèces terrestres.
On observe un recul de la glace de mer arctique, un dégel des sols gelés, un retrait généralisé des glaciers. La perte de glace des calottes polaires a été multipliée par 4 depuis les années 1990, du fait d’une fonte de surface plus forte au Groenland, et d’un écoulement plus rapide de certains secteurs de l’Antarctique. Cela entraîne une accélération du rythme de montée du niveau des mers.
L’océan accumule près de 90% de l’énergie supplémentaire qui ne part plus vers l’espace du fait de l’influence humaine sur le climat, avec des vagues de chaleur marines plus fréquentes, une perte d’oxygène. L’océan capte 23% des émissions annuelles de CO2, ce qui conduit à son acidification en surface et en profondeur.
L’influence humaine sur le climat renforce la fréquence et l’intensité d’événements extrêmes tels que les vagues de chaleur, les pluies torrentielles, les sécheresses et les conditions météorologiques chaudes, sèches et venteuses propices aux incendies de forêt.
De nombreux extrêmes chauds observés au cours de la dernière décennie auraient eu une probabilité d’occurrence extrêmement faible sans l’influence humaine sur le climat.
Nous avons mis en mouvement les composantes lentes du système climatique qui s’ajusteront sur des décennies ou plus pour les glaciers, des siècles pour l’océan profond et des milliers d’années pour les calottes glaciaires. En réponse aux émissions passées de gaz à effet de serre, le niveau de la mer va inexorablement continuer à monter.
Les changements que nous connaissons déjà s’accentueront avec la poursuite du réchauffement.
Quelles sont les futurs possibles ?
Dans ce rapport, nous explorons les conséquences de cinq scénarios très contrastés d’émissions futures, allant d’émissions de gaz à effet de serre très faibles, faibles, intermédiaires, à élevées ou très élevées.
Grâce aux politiques publiques mises en place et aux ruptures technologiques qui permettent de produire de l’électricité bas carbone à un coût compétitif, les scénarios d’émissions très fortes de gaz à effet de serre sont maintenant moins plausibles.
Dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat, les engagements des différents pays à horizon 2030, s’ils sont tous mis en œuvre, impliqueraient des émissions mondiales de gaz à effet de serre proches du niveau actuel à horizon 2030 – une stagnation, et non une baisse.
Si les émissions de gaz à effet de serre se maintiennent à un niveau proche de celui d’aujourd’hui pendant quelques décennies avant de diminuer lentement (le scénario intermédiaire), un réchauffement planétaire de 1,5°C serait dépassé dans les 20 prochaines années, un réchauffement de 2°C serait dépassé vers 2050 et le réchauffement pourrait atteindre 2 à 3,5°C en fin de siècle.
Nous montrons qu’un niveau de réchauffement planétaire de 1,5°C (en moyenne sur 20 ans par rapport à 1850-1900) devrait être atteint dans les 20 prochaines années.
C’est uniquement par des réductions rapides et importantes des émissions de dioxyde de carbone, de méthane et d’autres gaz à effet de serre qu’il serait possible de contenir le réchauffement planétaire à un niveau proche de 1,5°C et largement en-dessous de 2°C.
Pourquoi chaque fraction de réchauffement planétaire est-elle importante ?
De nombreux changements dans le système climatique s’intensifient en relation directe avec le niveau de réchauffement climatique.
Il s’agit notamment de l’augmentation de la température moyenne régionale et des modifications contrastées de la répartition des précipitations, de l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des fortes précipitations et des extrêmes de chaleur, y compris des seuils de chaleur dangereux pour la santé et les rendements agricoles, des sécheresses dans certaines régions, de la proportion de cyclones tropicaux intenses, ainsi que de la réduction de la couverture neigeuse, du pergélisol et de la glace de mer arctique.
Un climat plus chaud intensifie également le cycle de l’eau et sa variabilité, y compris les événements et les saisons très humides et très secs.
Un climat plus chaud affecte l’océan de multiples façons qui sont importantes pour la vie marine et les personnes qui en dépendent. Il s’agit notamment de l’intensification des vagues de chaleur marines, de la perte d’oxygène et de l’acidification des océans.
Ces multiples changements sont plus prononcés et plus étendus pour chaque augmentation du réchauffement futur, et peuvent être arrêtés en limitant le réchauffement.
Certaines conséquences des émissions passées et futures de gaz à effet de serre sont irréversibles pendant des siècles, voire des millénaires, notamment l’élévation du niveau de la mer et l’intensification de l’érosion côtière, de la fréquence et de l’intensité des submersions côtières qui en résultent.
Limiter le réchauffement permettrait de ralentir et de limiter l’ampleur de l’élévation du niveau de la mer, donnant ainsi plus de temps pour s’adapter dans les zones littorales.
Des changements abrupts tels que l’effondrement de secteurs de l’Antarctique, des changements de circulation océanique, le dépérissement de forêts ou l’occurrence d’évènements extrêmes composites (affectant par exemple simultanément plusieurs greniers à blés mondiaux) ne peuvent être exclus.
Limiter le réchauffement réduit la probabilité que de tels éventualités, dont la probabilité d’occurrence est faible ou difficile à évaluer, mais dont les impacts seraient dévastateurs, ne se produisent.
Plus le cumul d’émissions de CO₂ augmenterait, plus la quantité absorbée par l’océan et les terres augmenterait … mais la fraction qui est absorbée diminuerait. Cette perte d’efficacité relative des puits de carbone provient de la saturation de certains processus, comme l’effet tampon des carbonates dans l’océan, et des limitations de la croissance des végétaux par le stress thermique et hydrique.
Du point de vue de la physique du climat, quelles sont les conditions nécessaires pour limiter le niveau de réchauffement ?
Chaque tonne d’émissions de CO₂ contribue au réchauffement climatique.
Pour limiter le réchauffement climatique d’origine humaine à un niveau spécifique, il faut limiter les émissions cumulées de CO2, pour atteindre des émissions nettes de CO2 nulles, ainsi que de fortes réductions des émissions d’autres gaz à effet de serre.
Des réductions fortes, rapides et durables des émissions de méthane limiteraient également l’effet de réchauffement résultant de la baisse de la pollution par les aérosols et amélioreraient la qualité de l’air parce que le méthane est un précurseur de formation d’ozone en surface, un polluant atmosphérique.
Une réduction importante des émissions mondiales de gaz à effet de serre aurait des effets perceptibles sur l’évolution de la composition de l’atmosphère et la qualité de l’air en quelques années, par rapport à des émissions mondiales élevées de gaz à effet de serre. Les effets sur la tendance de la température de surface de la planète seraient visibles sur une vingtaine d’années.
Le climat que nous connaîtrons à l’avenir dépend des décisions que nous prenons maintenant.
Que retenir des décisions de la COP26 qui s’est tenu à Glasgow en décembre 2021 ?
Ces décisions font clairement référence à ces connaissances scientifiques, avec l’expression de la plus forte inquiétude devant le constat que les impacts résultant de 1,1°C de réchauffement climatique dû à l’influence humaine affectent déjà chaque région, qu’ils vont augmenter avec chaque fraction de réchauffement supplémentaire, donnant lieu à des pertes et préjudices de plus en plus préoccupants par leurs dimensions sociales, économiques, et environnementales.
La COP26 souligne l’urgence à changer d’échelle concernant l’adaptation et l’appui à l’adaptation, en particulier vis-à-vis du transfert de technologies, du renforcement de capacité, et de l’appui financier nécessaire pour réduire les vulnérabilités dans les pays en développement.
Elle réaffirme l’objectif de limiter le réchauffement largement en-dessous de 2°C et poursuivre les efforts pour le limiter à 1,5°C, compte-tenu des risques et impacts associés.
Elle reconnaît que cela demande des diminutions des émissions de CO2 de 45% entre 2010 et 2030 et l’atteinte d’émissions mondiales de CO2 à net zéro autour de 2050, et de fortes réductions des émissions des autres gaz à effet de serre, et donc d’accélérer l’action pour cette décennie critique.
La décision de Glasgow appelle à une transition rapide vers des systèmes énergétiques bas carbone. Elle souligne les enjeux de transition juste, l’importance de l’innovation technologique, et les enjeux croisés climat et biodiversité associés à la préservation et la restauration des écosystèmes terrestres et marins, compte-tenu de leur rôle de puits de carbone.
Solutions fondées sur la nature, progrès technologiques et maîtrise de la demande (avec une dimension de sobriété en énergie, en matériaux, en eau, en pression sur les terres, en protéines animales) sont trois volets des transformations profondes nécessaires pour parvenir à limiter l’ampleur des risques liés au changement climatique et préserver la biodiversité, pour un développement soutenable.
Les défis sont considérables.
(Janvier 2022)